拍品专文
Ce Portrait de femme en Uranie a été peint par Nicolas de Largillierre (1656-1746) vers 1718-1720, comme en attestent non seulement la coiffure du modèle, mais encore l’exécution de l’œuvre – gamme chromatique et écriture – caractéristique de cette période de la carrière du peintre.
Tout d’abord révélée par le catalogue de la vente de 'Madame Camille Lelong', en 1903 (galerie Georges Petit, Paris, 27-30 avril 1903, lot 28 - ce tableau est aujourd'hui considéré comme un ricordo), la composition a été considérée dès cette époque comme une représentation de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil (1706-1749), marquise du Châtelet, célèbre femme de science et grande amie de Voltaire (1694-1778) qui l’avait surnommée 'la docte Uranie'. Cette identification a été reprise jusqu’à nos jours pour les différentes versions connues de ce portrait, quoique la datation du tableau, vers 1718-1720, la rende totalement impossible : le modèle supposé, en effet, n’avait alors qu’entre douze et quatorze ans.
Il convient donc de chercher ailleurs l’identité de cette femme qui avait un intérêt si grand pour l’astronomie qu’elle voulut se faire peindre sous cette apparence et qui, en outre, aurait eu les moyens de s’offrir un globe céleste de cette dimension. Madame Catherine Hofmann, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France et spécialiste des globes astronomiques, a identifié celui-ci (voir D. Brême et al., Portraits en majesté. François de Troy, Nicolas de Largillierre, Hyacinthe Rigaud, [cat. exp.], Milan, 2021, p. 266) comme étant l’œuvre de Willem Jansz. Blaeu (1571-1638) qui le produisit en 34 cm de diamètre et en trois états différents (1598, 1603 et 1621) (fig. 1). Le globe représenté par Largillierre étant de plus grande taille, il faut supposer soit qu’il exista un modèle correspondant, de très grand prix, soit que le peintre porta un globe plus petit à l’échelle de son projet.
Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, plusieurs femmes se sont donné ou ont reçu le surnom d’Uranie. Le pseudonyme est d’ailleurs assez courant dans la littérature galante de l’époque (Madeline Angélique de Gomez, Les journées amusantes dédiées au Roy, 1722 ; Soyez Destauvelles, Nouvelles lettres et œuvres galantes, 1724 ; Marie Huber, Le Monde fou préféré au Monde sage, 1731 ; etc.). Marie Marguerite d’Alègre (1688-1752), comtesse de Rupelmonde, eut ainsi l’honneur d’une épître de Voltaire en 1722, intitulée Le pour et le contre, dont le premier vers est : 'Tu veux donc, belle Uranie…'. Louise Bénédicte de Bourbon Condé (1676-1753), duchesse du Maine, était assurément, parmi les femmes importantes qui auraient pu se faire peindre en grand – et au moins à trois reprises – par Largillierre et son atelier, celle dont on sait qu’elle était véritablement passionnée d’astronomie. Nicolas de Malézieu (1650-1727) l’avait instruite des rudiments de cette science et la petite société savante qu’elle réunissait en son château de Sceaux, comprenait aussi bien Fontenelle (1657-1757) – l’auteur des fameux Entretiens sur la pluralité des mondes – que la marquise du Châtelet, la 'docte Uranie' de Voltaire, avec lesquels elle ne manqua pas de débattre sur l’ordre de l’univers.
Au cours des fêtes nombreuses données à Châtenay, chez Malézieu, ou à Sceaux, la duchesse du Maine fut plusieurs fois gratifiée du surnom d’Uranie. Dans une pièce de vers consacrée à la princesse, Nicolas de Malézieu l’appelle 'adorable Uranie' et fait valoir, ailleurs, la passion de sa maîtresse pour l’astronomie en lui dédiant une chanson : 'Pour Madame la Duchesse du Maine, un soir qu’elle vouloit observer l’étoile de Vénus'. Il commence une autre chanson, dédiée à la duchesse d’Estrées, par 'Près de la divine Uranie, // Dans son charmant Palais de Seaux…'. Les fameuses Grandes Nuits de Sceaux (1714-1715) font régulièrement place à la mécanique céleste. Lors de la cinquième Nuit (août 1714), la duchesse exhorte Malézieu à lui écrire quelques vers et commence par cet alexandrin 'Daigne entendre la voix de ta chère Uranie'. Mais c’est au cours de la septième Nuit (septembre 1714) que l’astronomie est ostensiblement mise à l’honneur à Sceaux par la venue – fictive ou réelle ? – des plus grands savants en la matière. Au cours du premier intermède se présentent en effet à Malézieu, pour recueillir son avis sur l’apparition d’un nouvel astre, Jacques Cassini (1677-1756) à qui l’on devra bientôt la mesure du méridien de Paris (1718) ; Philippe de La Hire (1640-1718) – fils du peintre Laurent de La Hyre – auteur d’un Planisphère céleste (1705) ; Jacques Philippe Maraldi (1665-1729), auteur de nombreuses découvertes et publications… Cassini s’adresse alors à Malézieu en le nommant 'Digne favori d’Uranie' et l’on découvre bientôt que l’astre nouveau qui depuis peu se manifeste n’est autre que la duchesse du Maine.
Comme ici, la princesse était blonde et avait les yeux bleus. Elle avait environ quarante-cinq ans lorsque Largillierre peignit son Uranie, âge compatible avec celui du modèle portraituré. Mais l’identification de cette muse de l’astronomie à la duchesse du Maine ne peut être qu’hypothétique dans l’état actuel des connaissances. Après avoir été exilée en 1719 dans le cadre de la conspiration de Cellamare contre Philippe d’Orléans (1674-1723), régent de France, la duchesse revint à Sceaux en janvier 1720 et eut à cœur d’y réhabiliter son image par l’animation d’une 'seconde cour de Sceaux', de nouveau très active intellectuellement, mais beaucoup plus sage sur le plan politique. Le portrait de Largillierre pourrait avoir été peint pour marquer ce retour en grâce, et la princesse avait assez d’amis importants et de résidences pour demander à un peintre – alors au faîte de sa gloire – deux ou trois exemplaires de son grand portrait allégorique. Seule une personnalité de haut rang en avait alors les moyens. Aucun document, toutefois, ne vient pour l’instant confirmer cette hypothèse.
Les citations sont tirées de la Suite des Divertissemens de Sceaux, contenant des Chansons, des Cantates & autres Pieces de Poësie. Avec la description des Nuits qui s’y sont données, & les Comedies qui s’y sont jouées, Paris, 1725, p. 38, 93, 108, 142, 162.
Tout d’abord révélée par le catalogue de la vente de 'Madame Camille Lelong', en 1903 (galerie Georges Petit, Paris, 27-30 avril 1903, lot 28 - ce tableau est aujourd'hui considéré comme un ricordo), la composition a été considérée dès cette époque comme une représentation de Gabrielle Emilie Le Tonnelier de Breteuil (1706-1749), marquise du Châtelet, célèbre femme de science et grande amie de Voltaire (1694-1778) qui l’avait surnommée 'la docte Uranie'. Cette identification a été reprise jusqu’à nos jours pour les différentes versions connues de ce portrait, quoique la datation du tableau, vers 1718-1720, la rende totalement impossible : le modèle supposé, en effet, n’avait alors qu’entre douze et quatorze ans.
Il convient donc de chercher ailleurs l’identité de cette femme qui avait un intérêt si grand pour l’astronomie qu’elle voulut se faire peindre sous cette apparence et qui, en outre, aurait eu les moyens de s’offrir un globe céleste de cette dimension. Madame Catherine Hofmann, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France et spécialiste des globes astronomiques, a identifié celui-ci (voir D. Brême et al., Portraits en majesté. François de Troy, Nicolas de Largillierre, Hyacinthe Rigaud, [cat. exp.], Milan, 2021, p. 266) comme étant l’œuvre de Willem Jansz. Blaeu (1571-1638) qui le produisit en 34 cm de diamètre et en trois états différents (1598, 1603 et 1621) (fig. 1). Le globe représenté par Largillierre étant de plus grande taille, il faut supposer soit qu’il exista un modèle correspondant, de très grand prix, soit que le peintre porta un globe plus petit à l’échelle de son projet.
Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, plusieurs femmes se sont donné ou ont reçu le surnom d’Uranie. Le pseudonyme est d’ailleurs assez courant dans la littérature galante de l’époque (Madeline Angélique de Gomez, Les journées amusantes dédiées au Roy, 1722 ; Soyez Destauvelles, Nouvelles lettres et œuvres galantes, 1724 ; Marie Huber, Le Monde fou préféré au Monde sage, 1731 ; etc.). Marie Marguerite d’Alègre (1688-1752), comtesse de Rupelmonde, eut ainsi l’honneur d’une épître de Voltaire en 1722, intitulée Le pour et le contre, dont le premier vers est : 'Tu veux donc, belle Uranie…'. Louise Bénédicte de Bourbon Condé (1676-1753), duchesse du Maine, était assurément, parmi les femmes importantes qui auraient pu se faire peindre en grand – et au moins à trois reprises – par Largillierre et son atelier, celle dont on sait qu’elle était véritablement passionnée d’astronomie. Nicolas de Malézieu (1650-1727) l’avait instruite des rudiments de cette science et la petite société savante qu’elle réunissait en son château de Sceaux, comprenait aussi bien Fontenelle (1657-1757) – l’auteur des fameux Entretiens sur la pluralité des mondes – que la marquise du Châtelet, la 'docte Uranie' de Voltaire, avec lesquels elle ne manqua pas de débattre sur l’ordre de l’univers.
Au cours des fêtes nombreuses données à Châtenay, chez Malézieu, ou à Sceaux, la duchesse du Maine fut plusieurs fois gratifiée du surnom d’Uranie. Dans une pièce de vers consacrée à la princesse, Nicolas de Malézieu l’appelle 'adorable Uranie' et fait valoir, ailleurs, la passion de sa maîtresse pour l’astronomie en lui dédiant une chanson : 'Pour Madame la Duchesse du Maine, un soir qu’elle vouloit observer l’étoile de Vénus'. Il commence une autre chanson, dédiée à la duchesse d’Estrées, par 'Près de la divine Uranie, // Dans son charmant Palais de Seaux…'. Les fameuses Grandes Nuits de Sceaux (1714-1715) font régulièrement place à la mécanique céleste. Lors de la cinquième Nuit (août 1714), la duchesse exhorte Malézieu à lui écrire quelques vers et commence par cet alexandrin 'Daigne entendre la voix de ta chère Uranie'. Mais c’est au cours de la septième Nuit (septembre 1714) que l’astronomie est ostensiblement mise à l’honneur à Sceaux par la venue – fictive ou réelle ? – des plus grands savants en la matière. Au cours du premier intermède se présentent en effet à Malézieu, pour recueillir son avis sur l’apparition d’un nouvel astre, Jacques Cassini (1677-1756) à qui l’on devra bientôt la mesure du méridien de Paris (1718) ; Philippe de La Hire (1640-1718) – fils du peintre Laurent de La Hyre – auteur d’un Planisphère céleste (1705) ; Jacques Philippe Maraldi (1665-1729), auteur de nombreuses découvertes et publications… Cassini s’adresse alors à Malézieu en le nommant 'Digne favori d’Uranie' et l’on découvre bientôt que l’astre nouveau qui depuis peu se manifeste n’est autre que la duchesse du Maine.
Comme ici, la princesse était blonde et avait les yeux bleus. Elle avait environ quarante-cinq ans lorsque Largillierre peignit son Uranie, âge compatible avec celui du modèle portraituré. Mais l’identification de cette muse de l’astronomie à la duchesse du Maine ne peut être qu’hypothétique dans l’état actuel des connaissances. Après avoir été exilée en 1719 dans le cadre de la conspiration de Cellamare contre Philippe d’Orléans (1674-1723), régent de France, la duchesse revint à Sceaux en janvier 1720 et eut à cœur d’y réhabiliter son image par l’animation d’une 'seconde cour de Sceaux', de nouveau très active intellectuellement, mais beaucoup plus sage sur le plan politique. Le portrait de Largillierre pourrait avoir été peint pour marquer ce retour en grâce, et la princesse avait assez d’amis importants et de résidences pour demander à un peintre – alors au faîte de sa gloire – deux ou trois exemplaires de son grand portrait allégorique. Seule une personnalité de haut rang en avait alors les moyens. Aucun document, toutefois, ne vient pour l’instant confirmer cette hypothèse.
Les citations sont tirées de la Suite des Divertissemens de Sceaux, contenant des Chansons, des Cantates & autres Pieces de Poësie. Avec la description des Nuits qui s’y sont données, & les Comedies qui s’y sont jouées, Paris, 1725, p. 38, 93, 108, 142, 162.