拍品专文
André-Charles Boulle comme modèle
Cette paire de meubles d’appui est une adaptation personnelle d’Etienne Levasseur des cabinets sur piètement en marqueterie réalisés par André-Charles Boulle vers 1700. Parmi les rares cabinets encore aujourd’hui conservés, figure la paire centrée de la figure de Louis XIV au musée du Louvre (OA5468). Notre paire s’inspire très probablement de cabinets tels que celui conservé au Victoria & Albert Museum, dans la collection Jones (1118.1882.1-2), lui-même séparé de son piètement et transformé en meuble d’appui. Notre paire présente le même schéma ornemental : en façade, un petit vantail central en ressaut est souligné d’une riche parure de bronzes dorés qui semble prolonger les rinceaux marquetés. Les marqueteries centrales, reprenant les motifs caractéristiques des dessins d’André-Charles Boulle, sont d’ailleurs très certainement des réemplois de l’atelier de l’ébéniste du XVIIe siècle.
Cette paire illustre la renaissance que connait l’œuvre de Boulle sous le règne de Louis XVI, directement liée à l’essor du néoclassicisme. Ce vif regain d’intérêt entraîne une nouvelle orientation dans la production de mobilier parisien dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ainsi, Etienne Levasseur se forme chez un des fils d’André-Charles Boulle, du même nom que son père, et surnommé « Boulle de Sève ». Il s’installe comme ouvrier privilégié rue du faubourg Saint-Antoine, à l’enseigne du « Cadran bleu ». Après avoir épousé la fille d’un ébéniste, il acquiert la maîtrise dans les conditions de faveur accordées aux gendres de maître, le 2 avril 1767. Sous le règne de Louis XVI, Levasseur consacre une partie de son activité à copier et à réparer les marqueteries de Boulle. La Cour lui commande des ouvrages destinés aux châteaux de Versailles et de Saint-Cloud et il réalise d’importants travaux pour Mesdames Adélaïde et Madame Victoire au château de Bellevue, ou encore pour les tantes du roi et pour des riches amateurs, tels que le fermier général Mulot de Pressigny. La production de meubles en marqueterie Boulle de son atelier se poursuit jusqu’à la Restauration et sous le règne de Louis Philippe, par l’intermédiaire de son fils, puis de son petit-fils.
Une interprétation d’Etienne Levasseur
Si Etienne Levasseur s’inspire des œuvres d’André-Charles Boulle, la conception de cette paire de meubles d’appui lui est personnelle. Fidèle au style néoclassique contemporain, elle ne présente plus les pattes de lion feuillagées ni le cadre à multiples moulures, particulièrement baroques, du cabinet de Boulle du Victoria & Albert Museum précité (1118.1882.1-2), mais des moulurations droites et des équerres d’angle. Ces équerres d’angle sont cependant inspirées de celles des bas d’armoire de Boulle, dits « des Saisons », conservés au Château de Versailles (V2318 à 2321). A la différence des meubles de Boulle, ces meubles d’appui ne présentent plus de tiroirs, mais un vantail dévoilant des tablettes sur crémaillères. Le vantail ne correspond plus au panneau en ressaut, comme chez Boulle, mais englobe le panneau central et les panneaux latéraux droits et pivote sur le bord externe du bas d’armoire par des charnières dissimulées sur les champs inférieur et supérieur. De même, tandis que les cabinets de Boulle ne sont en général pas surmontés de ceinture, cette paire de meubles d’appui simulent ici un faux tiroir. Si les panneaux de marqueterie centraux sont probablement réemployés du XVIIe siècle, les frises de canaux et tigettes évoquent les frises néoclassiques du XVIIIe siècle. Enfin, à la différence des cabinets de Boulle, les faces latérales du meuble sont dépourvues de toute marqueterie et remplacées par un placage d’ébène appliqué d’un haut relief du masque de Hercule coiffé de la peau du lion de Némée. Ce masque, qui n’appartient pas au répertoire d’André-Charles Boulle, est de conception moderne.
Les lignes sobres et élégantes de cette paire de meubles d’appui n’ont en outre rien des silhouettes baroques des meubles de Boulle et pourraient même révéler une certaine influence de Jean-Henri Riesener.
A la manière des meubles de Boulle séparés de leur piètement au XVIIIe siècle, recouverts d’un marbre et posés sur un socle moderne, Etienne Levasseur fait reposer le corps de ces meubles d’appui sur une plateforme, débordant légèrement, dont les angles sont marqués par des pieds en ressaut appliqués d’une rosace. Elle s’appuie sur quatre pieds en limaçon, modèle utilisé par Boulle pour de nombreuses consoles ou commodes. Le dessin de ce type de socles, que l’on retrouve sur la plupart des cabinets du XVIIe siècle transformés en meuble d’appui sous Louis XVI, dont celui du Victorian Museum précité (1118.1882.1-2) était souvent réalisé par des marchands-merciers.
Le rôle du marchand-mercier Claude-François Julliot
La production des meubles de Levasseur inspirés de l’œuvre d’André-Charles Boulle est souvent réalisée en collaboration avec le marchand-mecier Claude-François Julliot. Depuis l’un des plus importants commerces de merciers à Paris, rue Saint-Honoré, c’est l’un des premiers marchands à entreprendre l’exécution de meubles inspirés de modèles du Grand Siècle. Il se spécialise ainsi en « tableaux en pierre de Florence et des meubles de marqueterie de boulle et autres soigneusement faits sur le dessin et gout d’ornement de cet habile artiste » (Lugt 2740, Vente après-décès de l’épouse de Julliot, du 20 novembre 1777. « Précis » au catalogue, p. 5). Claude-François Julliot fait alors appel à Levasseur, soit pour réparer des meubles originaux de Boulle, soit pour en créer de nouveaux, à partir de réemplois de marqueteries anciennes, probablement comme les panneaux centraux de notre paire de meubles d’appui. Dans le catalogue de vente après-décès de l’épouse du mercier de 1777, sont d’ailleurs décrits, sous le n°729, deux panneaux de marqueterie en première partie, ornés d’appliques en bronze représentant Apollon et Daphné et Apollon et Marsyas, d’époque Louis XIV, destinés à être réemployés par Julliot.
Dans l’inventaire après-décès préalable à cette vente, un chapitre de la prisée des marchandises est dédié aux modèles de bas d’armoire. Sont notamment décrits trois anciens cabinets de Boulle (n°629, 630, 642) et plusieurs bas d’armoire à une, deux ou trois portes, pleines ou vitrées (n°628, 632, 641, 656, 657, 658), parmi lesquels on identifie le modèle de la bibliothèque à trois portes de Levasseur qui est conservée à la Wallace Collection (F388).
Une déclinaison en plusieurs modèles
Notre paire de meubles d’appui se décline en d’autres versions, qui sont de pures créations du XVIIIe siècle. Une paire de meubles d’appui comparable, ainsi entièrement réalisés sous Louis XVI, appartenaient à la collection Champalimaud et ont été vendus chez Christie’s à Londres le 7 juillet 2005, lot 125. Parés en façade de contreparties de cuivre pour l’un et d’étain pour l’autre, ils sont identiques à ceux de la collection de Léon Levy, vendus chez Sotheby’s à Paris le 2 octobre 2008, lot 61. Ils avaient d’ailleurs été rapprochés d’un ensemble de « quatre bas d’armoire à l’antique, à un abattant plaqué en marqueterie Boulle, fond d’ébène, garni en bronze doré d’or moulu » inventoriés en 1796 dans le petit salon d’hiver au château de Méréville, appartenant, jusqu’à sa mort, au marquis de Laborde.
Probablement composée de réemplois du XVIIe siècle et véritablement fidèle aux modèles d’André-Charles Boulle, notre paire de meubles d’appui demeure celle qui incarne le mieux le syncrétisme entre le baroque du Grand Siècle et le néoclassicisme du siècle des Lumières. C’est d’ailleurs par passion pour ces deux siècles de l’Histoire de France que le collectionneur bolivien Jaime Ortiz-Patiño les acquiert dans les années 1960, pour sa résidence à Genève.
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André-Charles Boulle as a model
This pair of meubles d’appui is Etienne Levasseur's personal adaptation of the marquetry cabinets on pedestal made by André-Charles Boulle around 1700. Among the few surviving cabinets is the pair centred on the figure of Louis XIV in the Musée du Louvre (OA5468). Our pair was most probably inspired by cabinets such as the one in the Victoria & Albert Museum, in the Jones collection (1118.1882.1-2), which was itself separated from its pedestal and transformed into a piece of furniture. Our pair has the same ornamental scheme: on the front, a small central recessed leaf is underlined by a rich gilded bronze ornament that seems to extend the inlaid foliage. The central marquetry, featuring motifs characteristic of André-Charles Boulle's designs, is almost certainly a re-employment from the 17th century cabinetmaker's workshop.
This pair illustrates the renaissance of Boulle's work during the reign of Louis XVI, which was directly linked to the rise of Neoclassicism. This resurgence of interest led to a new direction in the production of Parisian furniture in the second half of the 18th century. Etienne Levasseur trained with one of the sons of André-Charles Boulle, who shared his father's name and was nicknamed ‘Boulle de Sève’. He set up as a privileged worker on rue du faubourg Saint-Antoine, at the ‘Cadran bleu’ sign. After marrying the daughter of a cabinetmaker, he became a master on 2 April 1767 under the conditions of favour granted to the master's son-in-law. During the reign of Louis XVI, Levasseur devoted part of his time to copying and repairing Boulle's marquetry. The Court commissioned works from him for the châteaux of Versailles and Saint-Cloud, and he carried out major works for Mesdames Adélaïde and Madame Victoire at the Château de Bellevue, as well as for the King's aunts and wealthy amateurs such as the farmer-general Mulot de Pressigny. The production of Boulle marquetry furniture in his workshop continued until the Restoration and under the reign of Louis Philippe, through the intermediary of his son and then his grandson.
An interpretation by Etienne Levasseur
Although Etienne Levasseur drew his inspiration from the works of André-Charles Boulle, the design of this pair of meubles d’appui is entirely his own. In keeping with the contemporary neoclassical style, it no longer has the leafy lion's paws or the particularly baroque frame with multiple mouldings of the Boulle cabinet in the Victoria & Albert Museum (1118.1882.1-2), but straight mouldings and corner brackets. These corner brackets are, however, inspired by those on Boulle's bas d'armoire, known as the ‘Seasons’, in the Château de Versailles (V2318 to 2321). Unlike Boulle's furniture, these base units no longer have drawers, but a leaf revealing shelves on racks. The leaf no longer corresponds to the recessed panel, as in Boulle's work, but encompasses the central panel and the right-hand side panels and pivots on the outer edge of the cabinet base using hinges concealed on the lower and upper panels. Similarly, while Boulle's cabinets are generally not topped by a belt, this pair of supporting units simulates a false drawer. While the central marquetry panels are probably reused from the 17th century, the friezes of canals and tigettes are reminiscent of 18th century neoclassical friezes. Finally, unlike Boulle's cabinets, the sides of the piece have no marquetry and are replaced by an ebony veneer with a high relief of the mask of Hercules wearing the skin of the Nemean lion. This mask, which is not part of André-Charles Boulle's repertoire, is of modern design.
The sober, elegant lines of this pair of meubles d’appui have none of the baroque silhouettes of Boulle's furniture, and may even reveal a certain influence from Jean-Henri Riesener.
In the manner of Boulle's furniture, separated from its base in the 18th century, covered in marble and placed on a modern plinth, Etienne Levasseur has placed the body of these pieces of furniture on a platform, slightly overhanging, the corners of which are marked by projecting legs decorated with a rosette. It rests on four snail-shaped legs, a model used by Boulle for many consoles and chests of drawers. The design of this type of plinth, which can be found on most seventeenth-century cabinets transformed into support furniture under Louis XVI, including the one in the Victorian Museum mentioned above (1118.1882.1-2), was often made by marchands-merciers.
The role of the marchand-mercier Claude-François Julliot
Levasseur's furniture inspired by the work of André-Charles Boulle was often produced in collaboration with the marchand-mercier Claude-François Julliot. From one of the most important merchants in Paris, rue Saint-Honoré, he was one of the first merchants to undertake the production of furniture inspired by models from the Grand Siècle. He specialised in ‘paintings in stone from Florence and furniture in boulle marquetry and other materials carefully made to the design and ornamental taste of this skilful artist’ (Lugt 2740, Sale after the death of Julliot's wife, 20 November 1777. ‘Précis’ in the catalogue, p. 5). Claude-François Julliot then called on Levasseur either to repair Boulle's original furniture or to create new pieces based on the re-use of old marquetry, probably like the central panels of our pair of sideboards. In the after-death sale catalogue of the haberdasher's wife in 1777, two marquetry panels in the first part, decorated with bronze sconces representing Apollo and Daphne and Apollo and Marsyas, from the Louis XIV period, are described under no. 729 and were intended for re-use by Julliot.
In the post-death inventory prior to this sale, a chapter of the inventory of goods is dedicated to models of bas d'armoire. Three old Boulle cabinets are described (nos. 629, 630, 642) as well as several base cabinets with one, two or three doors, solid or glazed (nos. 628, 632, 641, 656, 657, 658), including the model of Levasseur's three-door bookcase in the Wallace Collection (F388).
A range of models
There are other versions of our support furniture, which are pure eighteenth-century creations. A similar pair of sideboards, made entirely under Louis XVI, belonged to the Champalimaud collection and were sold at Christie's in London on 7 July 2005, lot 125. Adorned on the front with copper counterparts for one and pewter for the other, they are identical to those in the Léon Levy collection, sold at Sotheby's in Paris on 2 October 2008, lot 61. They had also been compared with a set of ‘four antique-style cupboard bases, with a Boulle marquetry veneered flap, ebony base, trimmed in ground gold ormolu’ inventoried in 1796 in the petit salon d'hiver at the Château de Méréville, which belonged to the Marquis de Laborde until his death.
Probably made up of 17th-century re-employments and genuinely faithful to the designs of André-Charles Boulle, our pair of sideboards is still the best example of the syncretism between the Baroque of the Grand Siècle and the neoclassicism of the Age of Enlightenment. It was out of a passion for these two centuries of French history that Bolivian collector Jaime Ortiz-Patiño acquired them in the 1960s for his home in Geneva.
Cette paire de meubles d’appui est une adaptation personnelle d’Etienne Levasseur des cabinets sur piètement en marqueterie réalisés par André-Charles Boulle vers 1700. Parmi les rares cabinets encore aujourd’hui conservés, figure la paire centrée de la figure de Louis XIV au musée du Louvre (OA5468). Notre paire s’inspire très probablement de cabinets tels que celui conservé au Victoria & Albert Museum, dans la collection Jones (1118.1882.1-2), lui-même séparé de son piètement et transformé en meuble d’appui. Notre paire présente le même schéma ornemental : en façade, un petit vantail central en ressaut est souligné d’une riche parure de bronzes dorés qui semble prolonger les rinceaux marquetés. Les marqueteries centrales, reprenant les motifs caractéristiques des dessins d’André-Charles Boulle, sont d’ailleurs très certainement des réemplois de l’atelier de l’ébéniste du XVIIe siècle.
Cette paire illustre la renaissance que connait l’œuvre de Boulle sous le règne de Louis XVI, directement liée à l’essor du néoclassicisme. Ce vif regain d’intérêt entraîne une nouvelle orientation dans la production de mobilier parisien dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Ainsi, Etienne Levasseur se forme chez un des fils d’André-Charles Boulle, du même nom que son père, et surnommé « Boulle de Sève ». Il s’installe comme ouvrier privilégié rue du faubourg Saint-Antoine, à l’enseigne du « Cadran bleu ». Après avoir épousé la fille d’un ébéniste, il acquiert la maîtrise dans les conditions de faveur accordées aux gendres de maître, le 2 avril 1767. Sous le règne de Louis XVI, Levasseur consacre une partie de son activité à copier et à réparer les marqueteries de Boulle. La Cour lui commande des ouvrages destinés aux châteaux de Versailles et de Saint-Cloud et il réalise d’importants travaux pour Mesdames Adélaïde et Madame Victoire au château de Bellevue, ou encore pour les tantes du roi et pour des riches amateurs, tels que le fermier général Mulot de Pressigny. La production de meubles en marqueterie Boulle de son atelier se poursuit jusqu’à la Restauration et sous le règne de Louis Philippe, par l’intermédiaire de son fils, puis de son petit-fils.
Une interprétation d’Etienne Levasseur
Si Etienne Levasseur s’inspire des œuvres d’André-Charles Boulle, la conception de cette paire de meubles d’appui lui est personnelle. Fidèle au style néoclassique contemporain, elle ne présente plus les pattes de lion feuillagées ni le cadre à multiples moulures, particulièrement baroques, du cabinet de Boulle du Victoria & Albert Museum précité (1118.1882.1-2), mais des moulurations droites et des équerres d’angle. Ces équerres d’angle sont cependant inspirées de celles des bas d’armoire de Boulle, dits « des Saisons », conservés au Château de Versailles (V2318 à 2321). A la différence des meubles de Boulle, ces meubles d’appui ne présentent plus de tiroirs, mais un vantail dévoilant des tablettes sur crémaillères. Le vantail ne correspond plus au panneau en ressaut, comme chez Boulle, mais englobe le panneau central et les panneaux latéraux droits et pivote sur le bord externe du bas d’armoire par des charnières dissimulées sur les champs inférieur et supérieur. De même, tandis que les cabinets de Boulle ne sont en général pas surmontés de ceinture, cette paire de meubles d’appui simulent ici un faux tiroir. Si les panneaux de marqueterie centraux sont probablement réemployés du XVIIe siècle, les frises de canaux et tigettes évoquent les frises néoclassiques du XVIIIe siècle. Enfin, à la différence des cabinets de Boulle, les faces latérales du meuble sont dépourvues de toute marqueterie et remplacées par un placage d’ébène appliqué d’un haut relief du masque de Hercule coiffé de la peau du lion de Némée. Ce masque, qui n’appartient pas au répertoire d’André-Charles Boulle, est de conception moderne.
Les lignes sobres et élégantes de cette paire de meubles d’appui n’ont en outre rien des silhouettes baroques des meubles de Boulle et pourraient même révéler une certaine influence de Jean-Henri Riesener.
A la manière des meubles de Boulle séparés de leur piètement au XVIIIe siècle, recouverts d’un marbre et posés sur un socle moderne, Etienne Levasseur fait reposer le corps de ces meubles d’appui sur une plateforme, débordant légèrement, dont les angles sont marqués par des pieds en ressaut appliqués d’une rosace. Elle s’appuie sur quatre pieds en limaçon, modèle utilisé par Boulle pour de nombreuses consoles ou commodes. Le dessin de ce type de socles, que l’on retrouve sur la plupart des cabinets du XVIIe siècle transformés en meuble d’appui sous Louis XVI, dont celui du Victorian Museum précité (1118.1882.1-2) était souvent réalisé par des marchands-merciers.
Le rôle du marchand-mercier Claude-François Julliot
La production des meubles de Levasseur inspirés de l’œuvre d’André-Charles Boulle est souvent réalisée en collaboration avec le marchand-mecier Claude-François Julliot. Depuis l’un des plus importants commerces de merciers à Paris, rue Saint-Honoré, c’est l’un des premiers marchands à entreprendre l’exécution de meubles inspirés de modèles du Grand Siècle. Il se spécialise ainsi en « tableaux en pierre de Florence et des meubles de marqueterie de boulle et autres soigneusement faits sur le dessin et gout d’ornement de cet habile artiste » (Lugt 2740, Vente après-décès de l’épouse de Julliot, du 20 novembre 1777. « Précis » au catalogue, p. 5). Claude-François Julliot fait alors appel à Levasseur, soit pour réparer des meubles originaux de Boulle, soit pour en créer de nouveaux, à partir de réemplois de marqueteries anciennes, probablement comme les panneaux centraux de notre paire de meubles d’appui. Dans le catalogue de vente après-décès de l’épouse du mercier de 1777, sont d’ailleurs décrits, sous le n°729, deux panneaux de marqueterie en première partie, ornés d’appliques en bronze représentant Apollon et Daphné et Apollon et Marsyas, d’époque Louis XIV, destinés à être réemployés par Julliot.
Dans l’inventaire après-décès préalable à cette vente, un chapitre de la prisée des marchandises est dédié aux modèles de bas d’armoire. Sont notamment décrits trois anciens cabinets de Boulle (n°629, 630, 642) et plusieurs bas d’armoire à une, deux ou trois portes, pleines ou vitrées (n°628, 632, 641, 656, 657, 658), parmi lesquels on identifie le modèle de la bibliothèque à trois portes de Levasseur qui est conservée à la Wallace Collection (F388).
Une déclinaison en plusieurs modèles
Notre paire de meubles d’appui se décline en d’autres versions, qui sont de pures créations du XVIIIe siècle. Une paire de meubles d’appui comparable, ainsi entièrement réalisés sous Louis XVI, appartenaient à la collection Champalimaud et ont été vendus chez Christie’s à Londres le 7 juillet 2005, lot 125. Parés en façade de contreparties de cuivre pour l’un et d’étain pour l’autre, ils sont identiques à ceux de la collection de Léon Levy, vendus chez Sotheby’s à Paris le 2 octobre 2008, lot 61. Ils avaient d’ailleurs été rapprochés d’un ensemble de « quatre bas d’armoire à l’antique, à un abattant plaqué en marqueterie Boulle, fond d’ébène, garni en bronze doré d’or moulu » inventoriés en 1796 dans le petit salon d’hiver au château de Méréville, appartenant, jusqu’à sa mort, au marquis de Laborde.
Probablement composée de réemplois du XVIIe siècle et véritablement fidèle aux modèles d’André-Charles Boulle, notre paire de meubles d’appui demeure celle qui incarne le mieux le syncrétisme entre le baroque du Grand Siècle et le néoclassicisme du siècle des Lumières. C’est d’ailleurs par passion pour ces deux siècles de l’Histoire de France que le collectionneur bolivien Jaime Ortiz-Patiño les acquiert dans les années 1960, pour sa résidence à Genève.
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André-Charles Boulle as a model
This pair of meubles d’appui is Etienne Levasseur's personal adaptation of the marquetry cabinets on pedestal made by André-Charles Boulle around 1700. Among the few surviving cabinets is the pair centred on the figure of Louis XIV in the Musée du Louvre (OA5468). Our pair was most probably inspired by cabinets such as the one in the Victoria & Albert Museum, in the Jones collection (1118.1882.1-2), which was itself separated from its pedestal and transformed into a piece of furniture. Our pair has the same ornamental scheme: on the front, a small central recessed leaf is underlined by a rich gilded bronze ornament that seems to extend the inlaid foliage. The central marquetry, featuring motifs characteristic of André-Charles Boulle's designs, is almost certainly a re-employment from the 17th century cabinetmaker's workshop.
This pair illustrates the renaissance of Boulle's work during the reign of Louis XVI, which was directly linked to the rise of Neoclassicism. This resurgence of interest led to a new direction in the production of Parisian furniture in the second half of the 18th century. Etienne Levasseur trained with one of the sons of André-Charles Boulle, who shared his father's name and was nicknamed ‘Boulle de Sève’. He set up as a privileged worker on rue du faubourg Saint-Antoine, at the ‘Cadran bleu’ sign. After marrying the daughter of a cabinetmaker, he became a master on 2 April 1767 under the conditions of favour granted to the master's son-in-law. During the reign of Louis XVI, Levasseur devoted part of his time to copying and repairing Boulle's marquetry. The Court commissioned works from him for the châteaux of Versailles and Saint-Cloud, and he carried out major works for Mesdames Adélaïde and Madame Victoire at the Château de Bellevue, as well as for the King's aunts and wealthy amateurs such as the farmer-general Mulot de Pressigny. The production of Boulle marquetry furniture in his workshop continued until the Restoration and under the reign of Louis Philippe, through the intermediary of his son and then his grandson.
An interpretation by Etienne Levasseur
Although Etienne Levasseur drew his inspiration from the works of André-Charles Boulle, the design of this pair of meubles d’appui is entirely his own. In keeping with the contemporary neoclassical style, it no longer has the leafy lion's paws or the particularly baroque frame with multiple mouldings of the Boulle cabinet in the Victoria & Albert Museum (1118.1882.1-2), but straight mouldings and corner brackets. These corner brackets are, however, inspired by those on Boulle's bas d'armoire, known as the ‘Seasons’, in the Château de Versailles (V2318 to 2321). Unlike Boulle's furniture, these base units no longer have drawers, but a leaf revealing shelves on racks. The leaf no longer corresponds to the recessed panel, as in Boulle's work, but encompasses the central panel and the right-hand side panels and pivots on the outer edge of the cabinet base using hinges concealed on the lower and upper panels. Similarly, while Boulle's cabinets are generally not topped by a belt, this pair of supporting units simulates a false drawer. While the central marquetry panels are probably reused from the 17th century, the friezes of canals and tigettes are reminiscent of 18th century neoclassical friezes. Finally, unlike Boulle's cabinets, the sides of the piece have no marquetry and are replaced by an ebony veneer with a high relief of the mask of Hercules wearing the skin of the Nemean lion. This mask, which is not part of André-Charles Boulle's repertoire, is of modern design.
The sober, elegant lines of this pair of meubles d’appui have none of the baroque silhouettes of Boulle's furniture, and may even reveal a certain influence from Jean-Henri Riesener.
In the manner of Boulle's furniture, separated from its base in the 18th century, covered in marble and placed on a modern plinth, Etienne Levasseur has placed the body of these pieces of furniture on a platform, slightly overhanging, the corners of which are marked by projecting legs decorated with a rosette. It rests on four snail-shaped legs, a model used by Boulle for many consoles and chests of drawers. The design of this type of plinth, which can be found on most seventeenth-century cabinets transformed into support furniture under Louis XVI, including the one in the Victorian Museum mentioned above (1118.1882.1-2), was often made by marchands-merciers.
The role of the marchand-mercier Claude-François Julliot
Levasseur's furniture inspired by the work of André-Charles Boulle was often produced in collaboration with the marchand-mercier Claude-François Julliot. From one of the most important merchants in Paris, rue Saint-Honoré, he was one of the first merchants to undertake the production of furniture inspired by models from the Grand Siècle. He specialised in ‘paintings in stone from Florence and furniture in boulle marquetry and other materials carefully made to the design and ornamental taste of this skilful artist’ (Lugt 2740, Sale after the death of Julliot's wife, 20 November 1777. ‘Précis’ in the catalogue, p. 5). Claude-François Julliot then called on Levasseur either to repair Boulle's original furniture or to create new pieces based on the re-use of old marquetry, probably like the central panels of our pair of sideboards. In the after-death sale catalogue of the haberdasher's wife in 1777, two marquetry panels in the first part, decorated with bronze sconces representing Apollo and Daphne and Apollo and Marsyas, from the Louis XIV period, are described under no. 729 and were intended for re-use by Julliot.
In the post-death inventory prior to this sale, a chapter of the inventory of goods is dedicated to models of bas d'armoire. Three old Boulle cabinets are described (nos. 629, 630, 642) as well as several base cabinets with one, two or three doors, solid or glazed (nos. 628, 632, 641, 656, 657, 658), including the model of Levasseur's three-door bookcase in the Wallace Collection (F388).
A range of models
There are other versions of our support furniture, which are pure eighteenth-century creations. A similar pair of sideboards, made entirely under Louis XVI, belonged to the Champalimaud collection and were sold at Christie's in London on 7 July 2005, lot 125. Adorned on the front with copper counterparts for one and pewter for the other, they are identical to those in the Léon Levy collection, sold at Sotheby's in Paris on 2 October 2008, lot 61. They had also been compared with a set of ‘four antique-style cupboard bases, with a Boulle marquetry veneered flap, ebony base, trimmed in ground gold ormolu’ inventoried in 1796 in the petit salon d'hiver at the Château de Méréville, which belonged to the Marquis de Laborde until his death.
Probably made up of 17th-century re-employments and genuinely faithful to the designs of André-Charles Boulle, our pair of sideboards is still the best example of the syncretism between the Baroque of the Grand Siècle and the neoclassicism of the Age of Enlightenment. It was out of a passion for these two centuries of French history that Bolivian collector Jaime Ortiz-Patiño acquired them in the 1960s for his home in Geneva.