Ancienne collection Etienne Terrus
André Derain (1880-1954)
Matisse et Terrus
细节
André Derain (1880-1954)
Derain, A.
Matisse et Terrus
signé ‘a derain’ (en bas à droite)
huile sur toile
40.3 x 54.3 cm.
Peint en 1905
signed 'a derain' (lower right)
oil on canvas
15 7/8 x 21 3/8 in.
Painted in 1905
Derain, A.
Matisse et Terrus
signé ‘a derain’ (en bas à droite)
huile sur toile
40.3 x 54.3 cm.
Peint en 1905
signed 'a derain' (lower right)
oil on canvas
15 7/8 x 21 3/8 in.
Painted in 1905
来源
Etienne Terrus, Elne (probablement don de l'artiste).
Puis par succession au propriétaire actuel.
Puis par succession au propriétaire actuel.
出版
R. Escholier, Matisse, Ce vivant, Paris, 1956, p. 71.
R. Escholier, Matisse, From the Life, Londres, 1960, p. 66.
J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p. 45.
R. Escholier, Matisse, From the Life, Londres, 1960, p. 66.
J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p. 45.
更多详情
« Matisse, Derain, Terrus ont-ils formé une cordée à trois ? Derain réalise un étonnant 'double portrait', Matisse et Terrus côte à côte, avec leurs barbes-oreilles à deux fanions rebelles ! 'Deux solides gaillards, hâlés et barbus' - en s’écoulant, l’été les a brunis -, comme écrira Raymond Escholier, le biographe autorisé de Matisse, le dernier à avoir vu ce tableau après la mort de Terrus. Car Derain, à nouveau, l’offre au peintre d’Elne, et, à nouveau, ce tableau plus tard cessera d’être visible. Si Escholier put l’admirer, c’est grâce à la sœur de Terrus, encore vivante, laquelle, ce jour-là, lui montra un 'merveilleux sous-nous', tableau de Matisse offert à Terrus [Henri Matisse, Jardin du Luxembourg, Paris, vers 1902 ; Christie’s Paris, 20 octobre 2024 ; prix réalisé : 806 400 €]. Leur amitié est confirmée ! Terrus a passé l’été près d'eux ! Davantage qu'un bon camarade, désormais, c’est un vrai peintre, digne de leur quête. Un artiste qui explore à sa façon l’émotion. Un complice de Gauguin, quelqu’un d’attaché à son pays, à ses traditions, un primitif, un indigène » (J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p 45).
Si les tableaux fauves d'André Derain brillent trop souvent par leur absence aux enchères, ses peintures de figures fauves se font plus rares encore sur le marché. Matisse et Terrus compte parmi ces apparitions exceptionnelles : intrinsèquement fauve, cette toile l'est autant par sa touche dynamique, sa spontanéité et sa palette très vive, que par son sujet et sa date d'exécution, qui correspond au moment où Derain s'impose pleinement en pionnier du fauvisme. D'une grande rareté, ce tableau de qualité muséale est à bien des égards une pièce historique, emblématique de l'essence même du mouvement. Réalisé au cours de l'été 1905, alors que le peintre occitan Étienne Terrus reçoit à Collioure Matisse (arrivé le 16 mai), puis Derain (qui les rejoint vers le 7 juillet), et leur fait découvrir les milieux culturels de la région, Matisse et Terrus témoigne de l'amitié et du dialogue artistique foisonnant entre les trois hommes. Ce sont ces semaines passées sur les rives de la Méditerranée qui voient en effet surgir pour la première fois sur les toiles de Matisse et de Derain les grands déchaînements de couleurs dont les nuances pures finiront par l'emporter sur la forme, dictant les contours et les volumes des éléments de leurs compositions.
La provenance de ce tableau de 1905 est elle aussi tout à fait extraordinaire : près de cent-vingt ans après sa création, Marius et Terrus n'a été redécouvert que très récemment par les héritiers de son premier propriétaire, Étienne Terrus lui-même, auquel Derain avait sans doute fait don de sa toile. Après avoir été accrochée pendant soixante ans dans la demeure des Terrus à Elne, village proche de Collioure, l'œuvre avait ensuite été entreposée dans un coffre jusqu'à ce jour. De là son état de conservation tout à fait remarquable : la vigueur des empâtements de Derain et l'éclat de ses couleurs primaires sont restés quasiment intacts.
La grande complicité qui lie Matisse et Derain au début du XXe siècle trouve non seulement un écho dans les différents portraits qu'ils peignent alors l'un de l'autre (André Derain, Henri Matisse, 1905 ; The Metropolitan Museum of Art, New York, ou Henri Matisse, Portrait d’André Derain, 1905 ; Tate Modern, Londres), mais aussi dans leur correspondance, particulièrement prolifique à la veille du séjour de Derain à Collioure. Leurs échanges de juin 1905 révèlent un jeune Derain frustré de sa situation précaire à Paris, et las de se voir végéter sur le plan créatif : « Ma fougue s'est beaucoup refroidie face au manque d'émotion et imaginez seulement combien je me réjouirais de pouvoir vous rejoindre, or mes parents ne sont guère de cet avis (…) Vraiment, je vous assure que je souffre grandement de cette solitude, surtout dans mon travail (…) Je suis furieux de la faiblesse d'esprit qui m'accable en ce moment (…) Envoyez-moi une carte postale dans laquelle vous me suppliez de vous rejoindre de ce pas, me conseillant de le faire pour mon travail » (Lettre de Derain à Matisse, Chatou, vers le 15-20 juin 1905).
Dans sa réponse du 15 juin 1905, Matisse obtempère, sommant vivement son ami de venir le retrouver à Collioure : « Je ne saurais trop insister pour vous persuader qu'un séjour ici vous est absolument nécessaire pour votre travail. Vous y serez dans les conditions les plus avantageuses et tirerez des bénéfices pécuniaires sur le travail que vous ferez. Je suis certain que si vous m'écoutez vous vous en trouverez bien, c'est pourquoi je vous répète encore : venez ! ». Trois jours plus tard, Derain semble bien décidé à prendre le chemin du Midi : « Une nouvelle qui devrait vous surprendre. Je serai bientôt parmi vous. Vous vous en réjouirez, je pense, autant que moi. Je suis bienheureux car une formidable neurasthénie commençait à m'étreindre » (lettre de Derain à Matisse, Chatou, 28 juin 1905). Le choc esthétique sera bouleversant. Au contact de Matisse et de Terrus, de l'atmosphère de Collioure, sa lumière vive, sa chaleur et ses paysages pittoresques, Derain se libère bientôt des carcans de sa production parisienne. Une liberté d'expression absolue se dégage de ce Matisse et Terrus qui cherche à rompre avec toutes les conventions picturales au profit d'un langage visuel totalement inédit, gouverné par la seule puissance chromatique. L'ensemble respire la joie, la douceur de vivre et la sérénité, traduisant sans doute l'état d'esprit qui habite Derain tout au long de son séjour en Méditerranée, région dont il comparera les couleurs à des « cartouches de dynamite » (J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p. 33). Cet engouement pour Collioure transparaît aussi dans une lettre qu'il adresse à son ami peintre Maurice de Vlaminck, le 28 juillet de la même année : « Ce pays-ci, c’est la lumière, une lumière blonde, dorée qui supprime les ombres, c’est un travail affolant » (in Barou, ibid., p. 38).
Ici, l'on reconnaît aisément Matisse à sa barbe rousse, sa pipe et son chapeau ; Terrus, aux quelques attributs auxquels il est réduit : chevelure brune, épais sourcils, longue barbe sombre. Probablement assis en bord de plage à la terrasse du Café du Racou, non loin de Collioure, Matisse semble occupé à dessiner tandis que Terrus, accoudé à la table, pose tranquillement son regard sur le chien couché aux pieds de son ami. Derain emploie un jaune vif pour traduire le sable en arrière-plan, un vert turquoise audacieux pour représenter la mer et un lilas profond pour délimiter la scène de bistrot. D'un pinceau très spontané, éclatant de tons bruts, il semble saisir ses camarades sur le vif dans ce moment de détente à la mer ; un arrêt sur image qu'il encadre d'une bande verticale, sur le bord droit de la composition, signifiant sans doute une colonne ou le mur du café.
Matisse apparaît dans un décor et une attitude presque identiques, et portant les mêmes vêtements, dans un autre tableau que Derain peint durant cet été décisif. Aujourd'hui conservée au Philadelphia Museum of Art, cette toile de 1905 à la palette très ressemblante mais à la composition plus sobre et à la touche moins précise, constitue fort probablement une étude préliminaire à ce Matisse et Terrus dans lequel Derain insère le personnage du peintre occitan et se montre plus audacieux encore dans son emploi de couleurs primaires crues. À l'issue de leur séjour, Matisse et Derain rentrent à Paris avec un répertoire impressionnant d'œuvres produites à Collioure. En atteste ce courrier que Matisse adresse à Paul Signac depuis Paris en septembre 1905 : « J’ai eu hier la visite de Félix Fénéon, devant qui j’ai fait défiler mon travail de Collioure, c’est-à-dire quarante aquarelles, une centaine de dessins et quinze toiles » (in Barou, ibid., p. 38). Derain, lui aussi, fait alors fièrement part à Vlaminck des « trente toiles, vingt dessins, une cinquantaine de croquis » (in Barou, ibid., p. 38) exécutés lors de son séjour dans le Sud. Certaines de ces œuvres de Matisse et Derain furent exposées aux côtés de toiles non moins colorées de Van Dongen, Vlaminck et Friesz lors du Salon d'Automne de 1905, dans la fameuse pièce que le critique d'art Louis Vauxcelles qualifia de « cage aux fauves », donnant, sans le savoir, son nom au fauvisme. Contrairement à Matisse, Derain ne remit jamais les pieds à Collioure. Matisse et Terrus reste en ce sens un témoignage d'autant plus précieux de cet épisode charnière dans la carrière du peintre ; le souvenir d'un lieu et d'une amitié qui contribuèrent grandement à galvaniser son art.
"Did Matisse, Derain and Terrus form a threesome? Derain creates an astonishing 'double portrait', Matisse and Terrus side by side, with their bearded ears like two rebellious pennants! 'Two sturdy fellows, tanned and bearded' - the summer had burnished them as it passed - as Matisse's authorized biographer Raymond Escholier, the last person to see this painting after Terrus's death, would write. Once again, Derain offered it to the Elne painter, and once again, the painting would later cease to be visible. If Escholier was able to admire it at all, it was thanks to Terrus's living sister, who that day showed him a 'marvelous sous-nous', a painting by Matisse given to Terrus [Henri Matisse, Jardin du Luxembourg, Paris, circa 1902; Christie’s Paris, 20 October 2024; price realized: € 806,400]. Their friendship was confirmed! Terrus spent the summer with them! More than a good comrade, he is now a true painter, worthy of their quest. An artist who explores emotion in his own way. An accomplice of Gauguin, someone attached to his country and its traditions, a primitive, a native".
J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p 45.
Rarely do André Derain’s fauve paintings come up at auction, and even rarer do his figure Fauve paintings appear on the market. Yet Matisse et Terrus is an intrinsically Fauve painting, not only through its fiery palette, its dynamic brushstrokes, its spontaneity but also its subject and its date, confirming Derain’s pioneering position as a ‘wild beast’. It is a true museum artwork and to some extent, it stands as a piece of history in that it emblematizes the essence of Fauvism. Painted during the summer of 1905, when the Catalan painter Etienne Terrus greeted Matisse (who arrived on 16 May 1905) and Derain (who joined him around 7 July 1905) in Collioure and introduced them to the local art scene, Matisse et Terrus bears witness to the trio’s friendship and artistic dialogue. It was that summer of 1905 spent in the charming Mediterranean harbor of Collioure located in South-West of France, that triggered Matisse’s and Derain’s unleashing of pure colours, ultimately taking over form and dictating the shape and volume of compositional elements. Even more so exciting is the fact that, almost 120 years after its execution, Matisse et Terrus of 1905 was only recently discovered by the heirs of its first owner, the sitter and painter Etienne Terrus, whom Derain had probably gifted it to. Indeed, the painting was hanging for the first sixty years in the Terrus home in Elne, a village outside Collioure, before being locked up in a safe for the last sixty years or so. It comes with no surprise that its pristine condition has remarkably preserved Derain’s fresh impastos and his bright primary colours.
The close friendship between Matisse and Derain in the early 20th century is not only illustrated by the portraits both artists did of each other reciprocally (André Derain, Henri Matisse, 1905; The Metropolitan Museum of Art, New York, and Henri Matisse, Portrait d’André Derain, 1905; Tate Modern, London), but it is also crystalized by a rich correspondence, particularly in the letters anticipating Derain’s arrival in Collioure in July 1905. It is clear from Derain’s very personal letters, that he felt he had reached a deadlock in terms of artistic creation, being stuck in Paris, with very limited financial means: "My enthusiasm has cooled greatly given the lack of emotions and just think how happy I would be if I could join you, but my parents don’t see it that way (…) I really assure you that I am suffering greatly now from this solitude and especially in my work (…) I am furious about the mental weakness that grips me just now (…) Send me a postcard in which you beg me to join you instantly, recommending that I do this for my work" (Letter from Derain to Matisse, Chatou, around 15-20 June 1905).
Matisse truly pushed him to join him in Collioure, writing back to his friend from Collioure on 25 June 1905, "I cannot insist too strongly that a stay here is absolutely necessary for your work - you would find yourself in the best possible conditions and you would reap pecuniary advantages from the work you could do here. I am certain that if you take my advice, you will be glad of jt. This is why I say to you again, come". Three days letter, Derain seems decided to come, confirming to Matisse that, "some news that will surprise you. I’ll soon be with you. I think this will make you as happy as it does me. I’m really glad, for a terrible bout of neurasthenia was beginning to shut me down" (Letter from Derain to Matisse, Chatou, 28 June 1905). It is obvious from Matisse et Terrus that the artistic shock Derain experienced in Collioure, not only with its blinding light, warmth and picturesque surroundings, but also through his direct encounter with Matisse and Terrus, completed unleashed him from the shackles of his barren Parisian production. There is a sense of total freedom of expression in Matisse et Terrus, that seeks to completely ignore traditional artistic principles and offer an entirely new visual language, governed by the power of colour. It breathes life, joy, warmth and peacefulness, most likely translating Derain’s feelings when he settled in Collioure for the summer – Derain himself later claimed that the colours of that summer of 1905 were ‘dynamite sticks’ (J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p 33). In a letter dated 28 July written to his close friend and fellow painter Maurice de Vlaminck, Derain celebrates the light in Collioure, ‘this country is all about light, a blond, golden light that eliminates shadows, it is an outstanding work' (quoted in Barou, ibid., p. 38).
Matisse is easily recognizable with his red beard, hat and smoking a pipe, whilst Terrus’ features, reduced to his dark hair, eyebrows and long black beard, clearly identify him as the Catalan painter. Most likely seated at a table at the Café du Racou, on a beach near Collioure, Matisse seems to be sketching with a dog lying at his feet, and Terrus, also casually leaning his elbow on the table, calmly looks out to the dog. Derain uses a bright yellow for the beach background, a daring turquoise colour tone for the sea and a lilac colour for the terrace to define the scene’s setting. Derain presents a snapshot of his friends relaxing by the sea, caught on the spot and captured by these spontaneous brushstrokes of bright pigments, framed by a vertical band on the far right of the composition, most likely corresponding to a pillar or to the wall of the café.
Matisse was portrayed by Derain in an almost identical setting, similar position and same clothes in a painting today housed at the Philadelphia Museum of Art, that also dates from that pivotal summer of 1905. Given its simpler composition, broader brushstrokes yet similar palette, it seems that the Philadelphia painting may have been a preliminary work to Matisse et Terrus, in which Derain has added Terrus to the composition and is even more audacious with his use of raw primary colours. At the end of the summer of 1905, Matisse and Derain both returned to Paris with an impressive body of works produced in Collioure. In September 1905, Matisse wrote to Paul Signac from Paris that "yesterday I had a visit from Félix Fénéon, to whom I showed my Collioure production, i.e. forty watercolors, a hundred drawings and fifteen canvases" (quoted in Barou, ibid., p. 38). Around the same time, Derain was proud to report to Vlaminck that he had done "thirty paintings, twenty drawings, fifty sketches" (quoted in Barou, ibid., p. 38) during this time in Collioure. Some of those paintings by both Derain and Matisse were exhibited at the famous Salon d’Automne of 1905, in a room alongside other colourful avant-garde paintings by Van Dongen, Vlaminck, Friesz, which was referred to as ‘la cage aux fauves’ (‘the wild beasts’ cage’) by art critic Louis Vauxcelles, ultimately giving birth to the term ‘Fauvism’. Unlike Matisse, Derain never returned to Collioure so Matisse et Terrus is a unique testament to that pivotal time in his artistic career, and to a precious, fruitful friendship that contributed to reinvigorating his artistic production.
Si les tableaux fauves d'André Derain brillent trop souvent par leur absence aux enchères, ses peintures de figures fauves se font plus rares encore sur le marché. Matisse et Terrus compte parmi ces apparitions exceptionnelles : intrinsèquement fauve, cette toile l'est autant par sa touche dynamique, sa spontanéité et sa palette très vive, que par son sujet et sa date d'exécution, qui correspond au moment où Derain s'impose pleinement en pionnier du fauvisme. D'une grande rareté, ce tableau de qualité muséale est à bien des égards une pièce historique, emblématique de l'essence même du mouvement. Réalisé au cours de l'été 1905, alors que le peintre occitan Étienne Terrus reçoit à Collioure Matisse (arrivé le 16 mai), puis Derain (qui les rejoint vers le 7 juillet), et leur fait découvrir les milieux culturels de la région, Matisse et Terrus témoigne de l'amitié et du dialogue artistique foisonnant entre les trois hommes. Ce sont ces semaines passées sur les rives de la Méditerranée qui voient en effet surgir pour la première fois sur les toiles de Matisse et de Derain les grands déchaînements de couleurs dont les nuances pures finiront par l'emporter sur la forme, dictant les contours et les volumes des éléments de leurs compositions.
La provenance de ce tableau de 1905 est elle aussi tout à fait extraordinaire : près de cent-vingt ans après sa création, Marius et Terrus n'a été redécouvert que très récemment par les héritiers de son premier propriétaire, Étienne Terrus lui-même, auquel Derain avait sans doute fait don de sa toile. Après avoir été accrochée pendant soixante ans dans la demeure des Terrus à Elne, village proche de Collioure, l'œuvre avait ensuite été entreposée dans un coffre jusqu'à ce jour. De là son état de conservation tout à fait remarquable : la vigueur des empâtements de Derain et l'éclat de ses couleurs primaires sont restés quasiment intacts.
La grande complicité qui lie Matisse et Derain au début du XXe siècle trouve non seulement un écho dans les différents portraits qu'ils peignent alors l'un de l'autre (André Derain, Henri Matisse, 1905 ; The Metropolitan Museum of Art, New York, ou Henri Matisse, Portrait d’André Derain, 1905 ; Tate Modern, Londres), mais aussi dans leur correspondance, particulièrement prolifique à la veille du séjour de Derain à Collioure. Leurs échanges de juin 1905 révèlent un jeune Derain frustré de sa situation précaire à Paris, et las de se voir végéter sur le plan créatif : « Ma fougue s'est beaucoup refroidie face au manque d'émotion et imaginez seulement combien je me réjouirais de pouvoir vous rejoindre, or mes parents ne sont guère de cet avis (…) Vraiment, je vous assure que je souffre grandement de cette solitude, surtout dans mon travail (…) Je suis furieux de la faiblesse d'esprit qui m'accable en ce moment (…) Envoyez-moi une carte postale dans laquelle vous me suppliez de vous rejoindre de ce pas, me conseillant de le faire pour mon travail » (Lettre de Derain à Matisse, Chatou, vers le 15-20 juin 1905).
Dans sa réponse du 15 juin 1905, Matisse obtempère, sommant vivement son ami de venir le retrouver à Collioure : « Je ne saurais trop insister pour vous persuader qu'un séjour ici vous est absolument nécessaire pour votre travail. Vous y serez dans les conditions les plus avantageuses et tirerez des bénéfices pécuniaires sur le travail que vous ferez. Je suis certain que si vous m'écoutez vous vous en trouverez bien, c'est pourquoi je vous répète encore : venez ! ». Trois jours plus tard, Derain semble bien décidé à prendre le chemin du Midi : « Une nouvelle qui devrait vous surprendre. Je serai bientôt parmi vous. Vous vous en réjouirez, je pense, autant que moi. Je suis bienheureux car une formidable neurasthénie commençait à m'étreindre » (lettre de Derain à Matisse, Chatou, 28 juin 1905). Le choc esthétique sera bouleversant. Au contact de Matisse et de Terrus, de l'atmosphère de Collioure, sa lumière vive, sa chaleur et ses paysages pittoresques, Derain se libère bientôt des carcans de sa production parisienne. Une liberté d'expression absolue se dégage de ce Matisse et Terrus qui cherche à rompre avec toutes les conventions picturales au profit d'un langage visuel totalement inédit, gouverné par la seule puissance chromatique. L'ensemble respire la joie, la douceur de vivre et la sérénité, traduisant sans doute l'état d'esprit qui habite Derain tout au long de son séjour en Méditerranée, région dont il comparera les couleurs à des « cartouches de dynamite » (J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p. 33). Cet engouement pour Collioure transparaît aussi dans une lettre qu'il adresse à son ami peintre Maurice de Vlaminck, le 28 juillet de la même année : « Ce pays-ci, c’est la lumière, une lumière blonde, dorée qui supprime les ombres, c’est un travail affolant » (in Barou, ibid., p. 38).
Ici, l'on reconnaît aisément Matisse à sa barbe rousse, sa pipe et son chapeau ; Terrus, aux quelques attributs auxquels il est réduit : chevelure brune, épais sourcils, longue barbe sombre. Probablement assis en bord de plage à la terrasse du Café du Racou, non loin de Collioure, Matisse semble occupé à dessiner tandis que Terrus, accoudé à la table, pose tranquillement son regard sur le chien couché aux pieds de son ami. Derain emploie un jaune vif pour traduire le sable en arrière-plan, un vert turquoise audacieux pour représenter la mer et un lilas profond pour délimiter la scène de bistrot. D'un pinceau très spontané, éclatant de tons bruts, il semble saisir ses camarades sur le vif dans ce moment de détente à la mer ; un arrêt sur image qu'il encadre d'une bande verticale, sur le bord droit de la composition, signifiant sans doute une colonne ou le mur du café.
Matisse apparaît dans un décor et une attitude presque identiques, et portant les mêmes vêtements, dans un autre tableau que Derain peint durant cet été décisif. Aujourd'hui conservée au Philadelphia Museum of Art, cette toile de 1905 à la palette très ressemblante mais à la composition plus sobre et à la touche moins précise, constitue fort probablement une étude préliminaire à ce Matisse et Terrus dans lequel Derain insère le personnage du peintre occitan et se montre plus audacieux encore dans son emploi de couleurs primaires crues. À l'issue de leur séjour, Matisse et Derain rentrent à Paris avec un répertoire impressionnant d'œuvres produites à Collioure. En atteste ce courrier que Matisse adresse à Paul Signac depuis Paris en septembre 1905 : « J’ai eu hier la visite de Félix Fénéon, devant qui j’ai fait défiler mon travail de Collioure, c’est-à-dire quarante aquarelles, une centaine de dessins et quinze toiles » (in Barou, ibid., p. 38). Derain, lui aussi, fait alors fièrement part à Vlaminck des « trente toiles, vingt dessins, une cinquantaine de croquis » (in Barou, ibid., p. 38) exécutés lors de son séjour dans le Sud. Certaines de ces œuvres de Matisse et Derain furent exposées aux côtés de toiles non moins colorées de Van Dongen, Vlaminck et Friesz lors du Salon d'Automne de 1905, dans la fameuse pièce que le critique d'art Louis Vauxcelles qualifia de « cage aux fauves », donnant, sans le savoir, son nom au fauvisme. Contrairement à Matisse, Derain ne remit jamais les pieds à Collioure. Matisse et Terrus reste en ce sens un témoignage d'autant plus précieux de cet épisode charnière dans la carrière du peintre ; le souvenir d'un lieu et d'une amitié qui contribuèrent grandement à galvaniser son art.
"Did Matisse, Derain and Terrus form a threesome? Derain creates an astonishing 'double portrait', Matisse and Terrus side by side, with their bearded ears like two rebellious pennants! 'Two sturdy fellows, tanned and bearded' - the summer had burnished them as it passed - as Matisse's authorized biographer Raymond Escholier, the last person to see this painting after Terrus's death, would write. Once again, Derain offered it to the Elne painter, and once again, the painting would later cease to be visible. If Escholier was able to admire it at all, it was thanks to Terrus's living sister, who that day showed him a 'marvelous sous-nous', a painting by Matisse given to Terrus [Henri Matisse, Jardin du Luxembourg, Paris, circa 1902; Christie’s Paris, 20 October 2024; price realized: € 806,400]. Their friendship was confirmed! Terrus spent the summer with them! More than a good comrade, he is now a true painter, worthy of their quest. An artist who explores emotion in his own way. An accomplice of Gauguin, someone attached to his country and its traditions, a primitive, a native".
J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p 45.
Rarely do André Derain’s fauve paintings come up at auction, and even rarer do his figure Fauve paintings appear on the market. Yet Matisse et Terrus is an intrinsically Fauve painting, not only through its fiery palette, its dynamic brushstrokes, its spontaneity but also its subject and its date, confirming Derain’s pioneering position as a ‘wild beast’. It is a true museum artwork and to some extent, it stands as a piece of history in that it emblematizes the essence of Fauvism. Painted during the summer of 1905, when the Catalan painter Etienne Terrus greeted Matisse (who arrived on 16 May 1905) and Derain (who joined him around 7 July 1905) in Collioure and introduced them to the local art scene, Matisse et Terrus bears witness to the trio’s friendship and artistic dialogue. It was that summer of 1905 spent in the charming Mediterranean harbor of Collioure located in South-West of France, that triggered Matisse’s and Derain’s unleashing of pure colours, ultimately taking over form and dictating the shape and volume of compositional elements. Even more so exciting is the fact that, almost 120 years after its execution, Matisse et Terrus of 1905 was only recently discovered by the heirs of its first owner, the sitter and painter Etienne Terrus, whom Derain had probably gifted it to. Indeed, the painting was hanging for the first sixty years in the Terrus home in Elne, a village outside Collioure, before being locked up in a safe for the last sixty years or so. It comes with no surprise that its pristine condition has remarkably preserved Derain’s fresh impastos and his bright primary colours.
The close friendship between Matisse and Derain in the early 20th century is not only illustrated by the portraits both artists did of each other reciprocally (André Derain, Henri Matisse, 1905; The Metropolitan Museum of Art, New York, and Henri Matisse, Portrait d’André Derain, 1905; Tate Modern, London), but it is also crystalized by a rich correspondence, particularly in the letters anticipating Derain’s arrival in Collioure in July 1905. It is clear from Derain’s very personal letters, that he felt he had reached a deadlock in terms of artistic creation, being stuck in Paris, with very limited financial means: "My enthusiasm has cooled greatly given the lack of emotions and just think how happy I would be if I could join you, but my parents don’t see it that way (…) I really assure you that I am suffering greatly now from this solitude and especially in my work (…) I am furious about the mental weakness that grips me just now (…) Send me a postcard in which you beg me to join you instantly, recommending that I do this for my work" (Letter from Derain to Matisse, Chatou, around 15-20 June 1905).
Matisse truly pushed him to join him in Collioure, writing back to his friend from Collioure on 25 June 1905, "I cannot insist too strongly that a stay here is absolutely necessary for your work - you would find yourself in the best possible conditions and you would reap pecuniary advantages from the work you could do here. I am certain that if you take my advice, you will be glad of jt. This is why I say to you again, come". Three days letter, Derain seems decided to come, confirming to Matisse that, "some news that will surprise you. I’ll soon be with you. I think this will make you as happy as it does me. I’m really glad, for a terrible bout of neurasthenia was beginning to shut me down" (Letter from Derain to Matisse, Chatou, 28 June 1905). It is obvious from Matisse et Terrus that the artistic shock Derain experienced in Collioure, not only with its blinding light, warmth and picturesque surroundings, but also through his direct encounter with Matisse and Terrus, completed unleashed him from the shackles of his barren Parisian production. There is a sense of total freedom of expression in Matisse et Terrus, that seeks to completely ignore traditional artistic principles and offer an entirely new visual language, governed by the power of colour. It breathes life, joy, warmth and peacefulness, most likely translating Derain’s feelings when he settled in Collioure for the summer – Derain himself later claimed that the colours of that summer of 1905 were ‘dynamite sticks’ (J.-P. Barou, Matisse ou le miracle de Collioure, Montpellier, 1997, p 33). In a letter dated 28 July written to his close friend and fellow painter Maurice de Vlaminck, Derain celebrates the light in Collioure, ‘this country is all about light, a blond, golden light that eliminates shadows, it is an outstanding work' (quoted in Barou, ibid., p. 38).
Matisse is easily recognizable with his red beard, hat and smoking a pipe, whilst Terrus’ features, reduced to his dark hair, eyebrows and long black beard, clearly identify him as the Catalan painter. Most likely seated at a table at the Café du Racou, on a beach near Collioure, Matisse seems to be sketching with a dog lying at his feet, and Terrus, also casually leaning his elbow on the table, calmly looks out to the dog. Derain uses a bright yellow for the beach background, a daring turquoise colour tone for the sea and a lilac colour for the terrace to define the scene’s setting. Derain presents a snapshot of his friends relaxing by the sea, caught on the spot and captured by these spontaneous brushstrokes of bright pigments, framed by a vertical band on the far right of the composition, most likely corresponding to a pillar or to the wall of the café.
Matisse was portrayed by Derain in an almost identical setting, similar position and same clothes in a painting today housed at the Philadelphia Museum of Art, that also dates from that pivotal summer of 1905. Given its simpler composition, broader brushstrokes yet similar palette, it seems that the Philadelphia painting may have been a preliminary work to Matisse et Terrus, in which Derain has added Terrus to the composition and is even more audacious with his use of raw primary colours. At the end of the summer of 1905, Matisse and Derain both returned to Paris with an impressive body of works produced in Collioure. In September 1905, Matisse wrote to Paul Signac from Paris that "yesterday I had a visit from Félix Fénéon, to whom I showed my Collioure production, i.e. forty watercolors, a hundred drawings and fifteen canvases" (quoted in Barou, ibid., p. 38). Around the same time, Derain was proud to report to Vlaminck that he had done "thirty paintings, twenty drawings, fifty sketches" (quoted in Barou, ibid., p. 38) during this time in Collioure. Some of those paintings by both Derain and Matisse were exhibited at the famous Salon d’Automne of 1905, in a room alongside other colourful avant-garde paintings by Van Dongen, Vlaminck, Friesz, which was referred to as ‘la cage aux fauves’ (‘the wild beasts’ cage’) by art critic Louis Vauxcelles, ultimately giving birth to the term ‘Fauvism’. Unlike Matisse, Derain never returned to Collioure so Matisse et Terrus is a unique testament to that pivotal time in his artistic career, and to a precious, fruitful friendship that contributed to reinvigorating his artistic production.
拍场告示
Veuillez noter que ce lot est mentioné dans les références suivantes :
R. Escholier, Matisse, Ce vivant, Paris, 1956, p. 71.
R. Escholier, Matisse, From the Life, Londres, 1960, p. 66.
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R. Escholier, Matisse, Ce vivant, Paris, 1956, p. 71.
R. Escholier, Matisse, From the Life, London, 1960, p. 66.
R. Escholier, Matisse, Ce vivant, Paris, 1956, p. 71.
R. Escholier, Matisse, From the Life, Londres, 1960, p. 66.
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R. Escholier, Matisse, Ce vivant, Paris, 1956, p. 71.
R. Escholier, Matisse, From the Life, London, 1960, p. 66.
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Valérie Didier
Specialist, Head of Sale