拍品专文
Paysage d'Italie vu par une lucarne est le plus grand des treize paysages connus que Degas ait peints à Naples et à Rome au début du long voyage d'études qu'il entreprit en Italie entre 1856 et 1859. Tous furent exécutés à l'huile sur papier et ultérieurement marouflés sur une toile ou un carton - le support le plus fréquemment utilisé dans la tradition de la peinture en plein-air, remontant au milieu du XVIIIe siècle. C'est également l'un des premiers paysages de Degas, peint peu après son arrivée à Naples, où il séjourna chez des parents napolitains de son père. Il peut être daté d'après une étude minutieuse contenue dans un carnet qui représente la forteresse de Capodimonte, située en dehors de la ville. Sur cette étude est inscrit "Capodimonte 10 7bre [Septembre]" (T. Reff, The Notebooks of Edgar Degas: A Catalogue of the Thirty-eight Notebooks in the Bibliothèque Nationale and Other Collections, Oxford, 1976, vol. I, carnet 7, p. 19). Elle fut certainement dessinée, tout comme Paysage d'Italie vu par une lucarne fut sûrement peint, dans le grenier de la maison de campagne de Hilaire Degas, le grand-père de l'artiste. Depuis le même endroit, et sans aucun doute au même moment, Degas peignit un autre tableau intitulé Paysage d'Italie (Brame et Reff, no. 16), montrant une vue plus rapprochée du paysage. Dans ce dernier, il élimine la fenêtre en arche et se concentre sur la forteresse et la colline.
Au-dessous de cette étude représentant la forteresse de Capodimonte, Degas reporta de sa main une citation de Dante, écrivain qu'il lisait et illustrait abondamment à cette époque. Elle est extraite du Purgatoire, XIV, 148-50: "Chiamavi il cielo, e intorno vi si gira, mostrandovi le sue bellezze etterne, e l'occhio vostro pur a terra mira" ("Le ciel vous appelle et vous entoure, vous révélant ses beautés éternelles, et pourtant votre oeil reste rivé vers la terre"). Que ce texte ait été ou non destiné à illustrer ce paysage - ce même carnet de notes ainsi que d'autres datant de cette époque contiennent des citations de Dante, accompagnées d'esquisses pour des illustrations éventuelles - il peut être consideré comme tel, et plus encore dans le cas de notre tableau dans lequel les larges zones de colline vert sombre dominent le ciel bleu pâle et rose ainsi que les murs aux subtiles teintes ocres.
Paysage d'Italie vu par une lucarne est le premier d'une longue série de tableaux dans lesquels Degas explore les effets visuels de la fenêtre et/ou de toutes autres formes d'embrasure, telles que la porte, le miroir et le tableau. L'artiste exploite ces éléments, comme des ouvertures, encadrées, réelles ou illusoires, au travers desquelles il confronte l'espace intérieur à la configuration d'un espace extérieur, ou d'un autre intérieur, ou encore du même espace intérieur, réduit et inversé. Même dans cette oeuvre de jeunesse, relativement simple, le paysage extrêmement coloré, aperçu de la fenêtre qu'encadrent des murs quasiment monochromes, ressemble à un tableau sur un mur, à un paysage proche du Paysage d'Italie cité précédemment. Lorsqu'il commença à peindre des scènes de la vie moderne une quinzaine d'années plus tard, Degas découvrit de nouvelles manières d'introduire des tableaux dans ses tableaux. Dans ses premières compositions de répétitions de ballets, il introduit un miroir mural ou un miroir psyché (en arche comme dans la fenêtre dans le Paysage d'Italie vu par une lucarne) dans lequel les reflets des danseuses subtilement encadrés s'opposent aux danseuses elles-mêmes (Lemoisne, nos. 297-298). Dans d'autres tableaux de répétition des années 1870, il montre, à l'arrière-plan, une grande fenêtre d'atelier avec une vue sur les façades et les toits des immeubles en face. Cette intrusion du Paris contemporain dans le monde intemporel du ballet crée une tension entre le premier plan et l'arrière-plan, le présent et le passé, ce qui n'est pas sans rappeler le Paysage d'Italie vu par une lucarne.
Dans l'oeuvre Danseuses dans une salle d'exercice, version située dans une salle de répétition à un étage élevé de l'Opéra, le contraste est rendu d'autant plus saisissant par la présence de trois danseuses dans des poses variées mais liées entre elles comme les groupes classiques des Trois Grâces ou Trois déesses du Jugement de Pâris (Lemoisne, no. 324). Dans une autre version illustrée ici (fig. 1), dont le décor se situe dans l'atelier d'un photographe au dernier étage, la danseuse se détache sur un arrière-plan de barreaux de fenêtre, de rideaux verticaux et de lattes horizontales du plancher. L'ensemble forme une grille géométrique austère qui trouve un écho dans les bâtiments extérieurs. Mais quelle que soit la façon dont ces tableaux ultérieurs développent ces idées déjà évidentes dans cette première vue de l'Italie, ils en diffèrent non seulement par la modernité du sujet, mais également par le traitement plus impressionniste de la couleur, de la lumière et des touches.
Si le Paysage d'Italie vu par une lucarne laisse présager l'intérêt futur de Degas envers les possibilités picturales qu'offrent le motif de la fenêtre, il renvoie aussi à l'utilisation métaphorique de la fenêtre ouverte dans l'art romantique du début du siècle. C'est en effet un motif fréquent en Europe du Nord ainsi que dans l'art français à partir de 1810. De plus, ces oeuvres comprennent souvent à l'arrière-plan un chevalet ou une table de travail signes de la présence de l'artiste, alors que ce dernier est absent à l'exemple de l'aquarelle de Jakob Alt (fig. 2). Lorenz Eitner, qui a d'abord reconnu l'importance du motif, écrit que "La fenêtre est comme un seuil et en même temps une barrière. A travers elle, la nature, le monde, la vie active fleurissent, mais l'artiste reste emprisonné, non sans plaisir, dans le confort domestique. L'image de la fenêtre illustre donc parfaitement les thèmes de la frustration causée par l'attente, du plaisir du voyage ou de la fuite, qui ponctuent la littérature romantique [...] la juxtaposition du très proche et du lointain ajoute une tension particulière au sens de la distance, plus poignante que ce que l'on obtiendrait dans un pur paysage." (Art Bulletin, décembre 1955, pp. 285-86). C'est également ce que Degas doit avoir ressenti en contemplant la forteresse lointaine de Capodimonte depuis le grenier de la villa de son grand-père - une minuscule forme à l'horizon, dont les murs, alternativement dans la lumière du soleil et dans l'ombre, reflètent les derniers rayons du soleil couchant au moment le plus romantique et mélancolique de la journée.
Par Theodore Reff, novembre 2008.
Ce texte a été traduit de l'anglais.
(fig. 1) Edgar Degas, Danseuse posant chez un photographe, 1875.
Musée Pouchkine, Moscou.
© RMN/Musée Pouchkine
(fig. 2) Jakob Alt, Vue depuis une fenêtre, 1836.
Historisches Museum der Stadt, Vienne.
© 2008 Albertina Museum, Vienne
Au-dessous de cette étude représentant la forteresse de Capodimonte, Degas reporta de sa main une citation de Dante, écrivain qu'il lisait et illustrait abondamment à cette époque. Elle est extraite du Purgatoire, XIV, 148-50: "Chiamavi il cielo, e intorno vi si gira, mostrandovi le sue bellezze etterne, e l'occhio vostro pur a terra mira" ("Le ciel vous appelle et vous entoure, vous révélant ses beautés éternelles, et pourtant votre oeil reste rivé vers la terre"). Que ce texte ait été ou non destiné à illustrer ce paysage - ce même carnet de notes ainsi que d'autres datant de cette époque contiennent des citations de Dante, accompagnées d'esquisses pour des illustrations éventuelles - il peut être consideré comme tel, et plus encore dans le cas de notre tableau dans lequel les larges zones de colline vert sombre dominent le ciel bleu pâle et rose ainsi que les murs aux subtiles teintes ocres.
Paysage d'Italie vu par une lucarne est le premier d'une longue série de tableaux dans lesquels Degas explore les effets visuels de la fenêtre et/ou de toutes autres formes d'embrasure, telles que la porte, le miroir et le tableau. L'artiste exploite ces éléments, comme des ouvertures, encadrées, réelles ou illusoires, au travers desquelles il confronte l'espace intérieur à la configuration d'un espace extérieur, ou d'un autre intérieur, ou encore du même espace intérieur, réduit et inversé. Même dans cette oeuvre de jeunesse, relativement simple, le paysage extrêmement coloré, aperçu de la fenêtre qu'encadrent des murs quasiment monochromes, ressemble à un tableau sur un mur, à un paysage proche du Paysage d'Italie cité précédemment. Lorsqu'il commença à peindre des scènes de la vie moderne une quinzaine d'années plus tard, Degas découvrit de nouvelles manières d'introduire des tableaux dans ses tableaux. Dans ses premières compositions de répétitions de ballets, il introduit un miroir mural ou un miroir psyché (en arche comme dans la fenêtre dans le Paysage d'Italie vu par une lucarne) dans lequel les reflets des danseuses subtilement encadrés s'opposent aux danseuses elles-mêmes (Lemoisne, nos. 297-298). Dans d'autres tableaux de répétition des années 1870, il montre, à l'arrière-plan, une grande fenêtre d'atelier avec une vue sur les façades et les toits des immeubles en face. Cette intrusion du Paris contemporain dans le monde intemporel du ballet crée une tension entre le premier plan et l'arrière-plan, le présent et le passé, ce qui n'est pas sans rappeler le Paysage d'Italie vu par une lucarne.
Dans l'oeuvre Danseuses dans une salle d'exercice, version située dans une salle de répétition à un étage élevé de l'Opéra, le contraste est rendu d'autant plus saisissant par la présence de trois danseuses dans des poses variées mais liées entre elles comme les groupes classiques des Trois Grâces ou Trois déesses du Jugement de Pâris (Lemoisne, no. 324). Dans une autre version illustrée ici (fig. 1), dont le décor se situe dans l'atelier d'un photographe au dernier étage, la danseuse se détache sur un arrière-plan de barreaux de fenêtre, de rideaux verticaux et de lattes horizontales du plancher. L'ensemble forme une grille géométrique austère qui trouve un écho dans les bâtiments extérieurs. Mais quelle que soit la façon dont ces tableaux ultérieurs développent ces idées déjà évidentes dans cette première vue de l'Italie, ils en diffèrent non seulement par la modernité du sujet, mais également par le traitement plus impressionniste de la couleur, de la lumière et des touches.
Si le Paysage d'Italie vu par une lucarne laisse présager l'intérêt futur de Degas envers les possibilités picturales qu'offrent le motif de la fenêtre, il renvoie aussi à l'utilisation métaphorique de la fenêtre ouverte dans l'art romantique du début du siècle. C'est en effet un motif fréquent en Europe du Nord ainsi que dans l'art français à partir de 1810. De plus, ces oeuvres comprennent souvent à l'arrière-plan un chevalet ou une table de travail signes de la présence de l'artiste, alors que ce dernier est absent à l'exemple de l'aquarelle de Jakob Alt (fig. 2). Lorenz Eitner, qui a d'abord reconnu l'importance du motif, écrit que "La fenêtre est comme un seuil et en même temps une barrière. A travers elle, la nature, le monde, la vie active fleurissent, mais l'artiste reste emprisonné, non sans plaisir, dans le confort domestique. L'image de la fenêtre illustre donc parfaitement les thèmes de la frustration causée par l'attente, du plaisir du voyage ou de la fuite, qui ponctuent la littérature romantique [...] la juxtaposition du très proche et du lointain ajoute une tension particulière au sens de la distance, plus poignante que ce que l'on obtiendrait dans un pur paysage." (Art Bulletin, décembre 1955, pp. 285-86). C'est également ce que Degas doit avoir ressenti en contemplant la forteresse lointaine de Capodimonte depuis le grenier de la villa de son grand-père - une minuscule forme à l'horizon, dont les murs, alternativement dans la lumière du soleil et dans l'ombre, reflètent les derniers rayons du soleil couchant au moment le plus romantique et mélancolique de la journée.
Par Theodore Reff, novembre 2008.
Ce texte a été traduit de l'anglais.
(fig. 1) Edgar Degas, Danseuse posant chez un photographe, 1875.
Musée Pouchkine, Moscou.
© RMN/Musée Pouchkine
(fig. 2) Jakob Alt, Vue depuis une fenêtre, 1836.
Historisches Museum der Stadt, Vienne.
© 2008 Albertina Museum, Vienne