Lot Essay
« Lorsqu'une peinture est achevée : une surface aux possibilités infinies est désormais réduite à une sorte de récipient dans lequel ont été acculées, comprimées des couleurs et des significations artificielles. Alors pourquoi ne pas plutôt vider ce récipient ? Pourquoi ne pas libérer cette surface? Pourquoi ne pas tenter de découvrir la portée illimitée d'un espace total, d'une lumière pure et absolue? ». - Piero Manzoni
Exécutée entre 1958 et 1959, cette œuvre précédemment conservée dans la Collection Benaglia est un superbe exemplaire des premiers Achromes de Piero Manzoni. Au centre d'une toile d'un blanc immaculé s'étend ici une bande horizontale, tout en plissures délicates et en nervures saillantes. Trempée dans du kaolin puis laissée à sécher, cette frise quasi-sculpturale semble se déployer telle une ode à la pureté, affranchie des contraintes de la figuration, de la couleur et de la représentation. Commencée entre 1957 et 1958, et poursuivie jusqu'à la mort tragique de Manzoni six ans plus tard à l'âge de vingt-neuf ans, cette série emblématique l'érige parmi les artistes les plus visionnaires des avant-gardes italiennes d'après-guerre. Les Achromes viennent en effet proclamer un nouveau destin pour l'art: se suffisant désormais à elle-même, ici la toile n'est plus un simple support ou réceptacle voué à contenir une image. Elle constitue au contraire l'image à elle seule. À l'heure où, de l'autre côté de l'Atlantique, ses contemporains expressionnistes abstraits font de leurs toiles le théâtre de déversements spontanés de peintures, d'émotions et de remous intérieurs, Manzoni soutient farouchement l'idée qu'un tableau doit demeurer une « zone de liberté » dépouillée, abritant « des images aussi absolues que possibles, qui ne peuvent être évaluées selon ce qu'elles évoquent, expliquent ou expriment, sinon selon ce qu'elles sont: existantes» (P. Manzoni in G. Celant, Piero Manzoni Catalogo Generale, Milan, 2004, p. LIII).
Seuls trois Achromes réalisés en 1958-1959 dans des formats comparables présentent ce ruchage central d'une grande rareté. Les deux autres résident dans les collections du Centre Georges Pompidou, à Paris, et du Walker Art Centre de Minneapolis, faisant de cette œuvre l'unique exemplaire du genre à demeurer dans le domaine privé.
Autodidacte, Manzoni fait ses débuts dans les milieux d'avant-garde milanais avec le mouvement Arte Nucleare: ses premiers tableaux, très démonstratifs, mêlent volontiers symboles abstraits, éléments de texte et techniques automatiques. Début 1957, l'exposition majeure d'Yves Klein, Proposte monochrome, epoca blu, qu'il découvre à la Galleria Apollinaire de Milan, marque toutefois un tournant décisif dans sa démarche. Manzoni est profondément bouleversé par les monochromes bleus de l'artiste français, qu'il perçoit comme des entités hermétiques, totalement non-figuratives, qui semblent n'être l'œuvre de personne et n'exister que par et pour elles-mêmes: il bannit aussitôt de son art tout élément expressif, chromatique ou narratif, et peint ses premiers Achromes dans le courant de la même année.
En y incorporant du kaolin (une argile blanche friable utilisée dans la fabrication de la céramique, qu'il découvre lors de courts séjours à Albisola), Manzoni convertit ses toiles brutes en surfaces malléables et très tactiles, parcourues de coulures séchées et d'épais froncements ondulants. Très prononcé, le modelage de cette œuvre-ci rappelle à bien des égards les saillies d'un bas-relief antique ou les cannelures d'une colonne ionique. Les rainures nettes et franches répandues sur le support lisse évoquent aussi des empâtements de peinture blanche, appliquées d'un grand coup de pinceau.
Très portée sur l'immédiateté et la puissance visuelle du matériau brut, l'œuvre de Manzoni s'inscrit nettement dans le sillage des readymades de Marcel Duchamp. Comme son prédécesseur, l'Italien se défie des grands principes de la tradition européenne qui glorifient la « patte » de l'artiste et considèrent celui-ci comme le créateur « unique » de pièces « uniques ». Les Achromes de Manzoni offrent une réponse iconoclaste à cette « sacralisation » de l'objet d'art, tout en portant un regard caustique sur la société de consommation naissante de l'Italie d'après-guerre.
Il n'est d'ailleurs pas rare de voir des matériaux du quotidien (petits pains, ouate, polystyrène...) s'inviter sur les surfaces monochromes des œuvres ultérieures de la série. Ces recherches témoignent du dialogue qui se tisse alors entre l'approche de Manzoni et celle de ses pairs Alberto Burri, Lucio Fontana ou Enrico Castellani: toute une génération d'artistes italiens unis par le désir de dépouiller, bousculer et révolutionner les deux dimensions du plan pictural avec leurs respectifs gobbi (ou «bossus»), tagli (ou «entailles») et superfici (ou «superficies»).
Les années 1950 voient Manzoni prospérer au sein de ce paysage artistique milanais en pleine effervescence. Il cofonde notamment en 1959 avec Castellani la revue Azimut ainsi qu'une galerie du même nom, donnant toujours plus de visibilité à une démarche qui inspirera fortement la génération suivante d'artistes italiens, tout en préfigurant certains aspects du minimalisme et de l'art conceptuel. À la fois absolu et plein de possibles, cet Achrome incarne parfaitement la vision de Manzoni, dans toute sa radicalité.
''When a painting is finished: a surface of infinite possibilities is now reduced to a sort of recipient into which unnatural colours, artificial significances have been forced and compressed. And why, instead, should we not empty this recipient? Why not liberate this surface? Why not attempt to discover the limitless significance of a total space, of a pure and absolute light?'' - Piero Manzoni
Created between 1958 and 1959, and previously held in the Benaglia Collection, the present work is an exquisite early example of Piero Manzoni’s Achromes. A central band of compact, horizontal folds and creases gathers over a crisp white monochrome canvas. Dipped in liquid kaolin and left to dry, the intricately furrowed formation is a near-sculptural statement of purity, free from the burdens of figuration, colour, and illusionism. Begun in 1957, and pursued until his tragically premature death just six years later, it is for this defining series that the artist is widely recognised as a visionary of the post-war Italian avant-garde. With his Achromes, Manzoni proclaimed a new, self-determining existence for art, whereby the canvas no longer represented a support or receptacle of the image, but comprised the image in and of itself. While across the Atlantic, his Abstract Expressionist contemporaries staged painterly outpourings of emotion, gesture, and inner turmoil, Manzoni stood by the opinion that painting should remain a sanitised ‘area of liberty’, and present ‘images that are as absolute as possible, which cannot be valued for what they recall, explain, express, but only insomuch as they are: being’ (P. Manzoni, quoted in G. Celant, Piero Manzoni Catalogo Generale, Milan 2004, p. LIII).
The present painting is one of only three comparably sized Achromes from this date to feature this striking central ruching. The other two are held in the collections of the Centre Georges Pompidou in Paris and the Walker Art Centre in Minneapolis, making this work the only such example to remain in private hands.
Self-taught as an artist, Manzoni began his career in the Milan art scene closely associated with the Nuclear Art group, and painted gestural works that featured text, abstract symbolism, and automatic techniques. In early 1957, however, his visit to Yves Klein’s 1957 landmark exhibition Proposte monochrome, epoca blu at the Galleria Apollinaire in Milan, catalysed a deciding shift in his style. He had been greatly inspired by the French artist’s decadent blue monochromes, which seemed to exist entirely of their own accord: as authorless, non-representational, and hermetic entities. He shortly abandoned chromatic, gestural, and narrative elements from his own works, and developed his Achromes later that same year. Introducing kaolin—a chalky white china clay used to manufacture porcelain which he had discovered during short stays in Albisola—to his raw canvases, Manzoni crafted distinctly tactile surfaces bearing dried drips and thick undulating wrinkles. The present work is pronounced, like an ancient sculptural relief or fluted Ionic column. Its compressed horizontal grooves leave an emphatic mark across the middle of the smooth canvas, calling to mind a single, elemental stroke of white impasto paint.
Drawn to the aesthetic power and self-sufficiency of raw materials, Manzoni’s work shows the influence of Marcel Duchamp and his seminal twentieth-century ‘readymades’. Like Duchamp, he was suspicious of sacrosanct artistic ideas of authorship, uniqueness, and the artist’s hand.
His Achrome series offered an iconoclastic foil for the ‘auratic’ art object, whilst nodding to Italy’s burgeoning post-war economy, and the mass production and consumerism that characterized this period. His later works of the series would incorporate found everyday materials such as bread rolls, cotton wool and polystyrene into his monochrome surfaces. Such explorations attest to the dialogue between Manzoni’s work and that of his peers Alberto Burri, Lucio Fontana, and Enrico Castellani—a generation of avant-garde Italian artists who shared a desire to expose, disrupt and confound the picture plane’s historic two-dimensionality with their respective Gobbi, Tagli and Superfici. Indeed, the late 1950s saw Manzoni rise to prominence in Milan’s thriving contemporary art scene. He co-founded the magazine Azimuth and the accompanying Galleria Azimut with Castellani in 1959, and laid the foundations not only for a new generation of Italian artists, but also for the later emergence of Conceptual and Minimalist art. The present work, absolute and yet unlimited in its possibilities, stands as a gleaming example of Manzoni’s radical vision.
Exécutée entre 1958 et 1959, cette œuvre précédemment conservée dans la Collection Benaglia est un superbe exemplaire des premiers Achromes de Piero Manzoni. Au centre d'une toile d'un blanc immaculé s'étend ici une bande horizontale, tout en plissures délicates et en nervures saillantes. Trempée dans du kaolin puis laissée à sécher, cette frise quasi-sculpturale semble se déployer telle une ode à la pureté, affranchie des contraintes de la figuration, de la couleur et de la représentation. Commencée entre 1957 et 1958, et poursuivie jusqu'à la mort tragique de Manzoni six ans plus tard à l'âge de vingt-neuf ans, cette série emblématique l'érige parmi les artistes les plus visionnaires des avant-gardes italiennes d'après-guerre. Les Achromes viennent en effet proclamer un nouveau destin pour l'art: se suffisant désormais à elle-même, ici la toile n'est plus un simple support ou réceptacle voué à contenir une image. Elle constitue au contraire l'image à elle seule. À l'heure où, de l'autre côté de l'Atlantique, ses contemporains expressionnistes abstraits font de leurs toiles le théâtre de déversements spontanés de peintures, d'émotions et de remous intérieurs, Manzoni soutient farouchement l'idée qu'un tableau doit demeurer une « zone de liberté » dépouillée, abritant « des images aussi absolues que possibles, qui ne peuvent être évaluées selon ce qu'elles évoquent, expliquent ou expriment, sinon selon ce qu'elles sont: existantes» (P. Manzoni in G. Celant, Piero Manzoni Catalogo Generale, Milan, 2004, p. LIII).
Seuls trois Achromes réalisés en 1958-1959 dans des formats comparables présentent ce ruchage central d'une grande rareté. Les deux autres résident dans les collections du Centre Georges Pompidou, à Paris, et du Walker Art Centre de Minneapolis, faisant de cette œuvre l'unique exemplaire du genre à demeurer dans le domaine privé.
Autodidacte, Manzoni fait ses débuts dans les milieux d'avant-garde milanais avec le mouvement Arte Nucleare: ses premiers tableaux, très démonstratifs, mêlent volontiers symboles abstraits, éléments de texte et techniques automatiques. Début 1957, l'exposition majeure d'Yves Klein, Proposte monochrome, epoca blu, qu'il découvre à la Galleria Apollinaire de Milan, marque toutefois un tournant décisif dans sa démarche. Manzoni est profondément bouleversé par les monochromes bleus de l'artiste français, qu'il perçoit comme des entités hermétiques, totalement non-figuratives, qui semblent n'être l'œuvre de personne et n'exister que par et pour elles-mêmes: il bannit aussitôt de son art tout élément expressif, chromatique ou narratif, et peint ses premiers Achromes dans le courant de la même année.
En y incorporant du kaolin (une argile blanche friable utilisée dans la fabrication de la céramique, qu'il découvre lors de courts séjours à Albisola), Manzoni convertit ses toiles brutes en surfaces malléables et très tactiles, parcourues de coulures séchées et d'épais froncements ondulants. Très prononcé, le modelage de cette œuvre-ci rappelle à bien des égards les saillies d'un bas-relief antique ou les cannelures d'une colonne ionique. Les rainures nettes et franches répandues sur le support lisse évoquent aussi des empâtements de peinture blanche, appliquées d'un grand coup de pinceau.
Très portée sur l'immédiateté et la puissance visuelle du matériau brut, l'œuvre de Manzoni s'inscrit nettement dans le sillage des readymades de Marcel Duchamp. Comme son prédécesseur, l'Italien se défie des grands principes de la tradition européenne qui glorifient la « patte » de l'artiste et considèrent celui-ci comme le créateur « unique » de pièces « uniques ». Les Achromes de Manzoni offrent une réponse iconoclaste à cette « sacralisation » de l'objet d'art, tout en portant un regard caustique sur la société de consommation naissante de l'Italie d'après-guerre.
Il n'est d'ailleurs pas rare de voir des matériaux du quotidien (petits pains, ouate, polystyrène...) s'inviter sur les surfaces monochromes des œuvres ultérieures de la série. Ces recherches témoignent du dialogue qui se tisse alors entre l'approche de Manzoni et celle de ses pairs Alberto Burri, Lucio Fontana ou Enrico Castellani: toute une génération d'artistes italiens unis par le désir de dépouiller, bousculer et révolutionner les deux dimensions du plan pictural avec leurs respectifs gobbi (ou «bossus»), tagli (ou «entailles») et superfici (ou «superficies»).
Les années 1950 voient Manzoni prospérer au sein de ce paysage artistique milanais en pleine effervescence. Il cofonde notamment en 1959 avec Castellani la revue Azimut ainsi qu'une galerie du même nom, donnant toujours plus de visibilité à une démarche qui inspirera fortement la génération suivante d'artistes italiens, tout en préfigurant certains aspects du minimalisme et de l'art conceptuel. À la fois absolu et plein de possibles, cet Achrome incarne parfaitement la vision de Manzoni, dans toute sa radicalité.
''When a painting is finished: a surface of infinite possibilities is now reduced to a sort of recipient into which unnatural colours, artificial significances have been forced and compressed. And why, instead, should we not empty this recipient? Why not liberate this surface? Why not attempt to discover the limitless significance of a total space, of a pure and absolute light?'' - Piero Manzoni
Created between 1958 and 1959, and previously held in the Benaglia Collection, the present work is an exquisite early example of Piero Manzoni’s Achromes. A central band of compact, horizontal folds and creases gathers over a crisp white monochrome canvas. Dipped in liquid kaolin and left to dry, the intricately furrowed formation is a near-sculptural statement of purity, free from the burdens of figuration, colour, and illusionism. Begun in 1957, and pursued until his tragically premature death just six years later, it is for this defining series that the artist is widely recognised as a visionary of the post-war Italian avant-garde. With his Achromes, Manzoni proclaimed a new, self-determining existence for art, whereby the canvas no longer represented a support or receptacle of the image, but comprised the image in and of itself. While across the Atlantic, his Abstract Expressionist contemporaries staged painterly outpourings of emotion, gesture, and inner turmoil, Manzoni stood by the opinion that painting should remain a sanitised ‘area of liberty’, and present ‘images that are as absolute as possible, which cannot be valued for what they recall, explain, express, but only insomuch as they are: being’ (P. Manzoni, quoted in G. Celant, Piero Manzoni Catalogo Generale, Milan 2004, p. LIII).
The present painting is one of only three comparably sized Achromes from this date to feature this striking central ruching. The other two are held in the collections of the Centre Georges Pompidou in Paris and the Walker Art Centre in Minneapolis, making this work the only such example to remain in private hands.
Self-taught as an artist, Manzoni began his career in the Milan art scene closely associated with the Nuclear Art group, and painted gestural works that featured text, abstract symbolism, and automatic techniques. In early 1957, however, his visit to Yves Klein’s 1957 landmark exhibition Proposte monochrome, epoca blu at the Galleria Apollinaire in Milan, catalysed a deciding shift in his style. He had been greatly inspired by the French artist’s decadent blue monochromes, which seemed to exist entirely of their own accord: as authorless, non-representational, and hermetic entities. He shortly abandoned chromatic, gestural, and narrative elements from his own works, and developed his Achromes later that same year. Introducing kaolin—a chalky white china clay used to manufacture porcelain which he had discovered during short stays in Albisola—to his raw canvases, Manzoni crafted distinctly tactile surfaces bearing dried drips and thick undulating wrinkles. The present work is pronounced, like an ancient sculptural relief or fluted Ionic column. Its compressed horizontal grooves leave an emphatic mark across the middle of the smooth canvas, calling to mind a single, elemental stroke of white impasto paint.
Drawn to the aesthetic power and self-sufficiency of raw materials, Manzoni’s work shows the influence of Marcel Duchamp and his seminal twentieth-century ‘readymades’. Like Duchamp, he was suspicious of sacrosanct artistic ideas of authorship, uniqueness, and the artist’s hand.
His Achrome series offered an iconoclastic foil for the ‘auratic’ art object, whilst nodding to Italy’s burgeoning post-war economy, and the mass production and consumerism that characterized this period. His later works of the series would incorporate found everyday materials such as bread rolls, cotton wool and polystyrene into his monochrome surfaces. Such explorations attest to the dialogue between Manzoni’s work and that of his peers Alberto Burri, Lucio Fontana, and Enrico Castellani—a generation of avant-garde Italian artists who shared a desire to expose, disrupt and confound the picture plane’s historic two-dimensionality with their respective Gobbi, Tagli and Superfici. Indeed, the late 1950s saw Manzoni rise to prominence in Milan’s thriving contemporary art scene. He co-founded the magazine Azimuth and the accompanying Galleria Azimut with Castellani in 1959, and laid the foundations not only for a new generation of Italian artists, but also for the later emergence of Conceptual and Minimalist art. The present work, absolute and yet unlimited in its possibilities, stands as a gleaming example of Manzoni’s radical vision.